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En France comme en Italie, la fascisation de nos sociétés
dimanche 28 avril 2024 par UJFP/Joëlle Stolz
Gaza en France : une police de la pensée pour blanchir le génocide.
En Italie le gouvernement néo-fasciste poursuit des intellectuels en justice.
Gaza en France : une police de la pensée pour blanchir le génocide
Un génocide est en cours à Gaza. La famine et l’absence de soins y sont organisés. L’occupant israélien y tue sans retenue femmes, enfants, vieillards, malades, personnels de l’UNRWA, familles entières, journalistes et même humanitaires étrangers venus apporter de la nourriture... Dans le même temps, en Cisjordanie, assassinats, expulsions et vols de terres se poursuivent.
C’est dans ce moment crépusculaire que le gouvernement français, bien aidé par les médias dominants, utilise cette guerre pour imposer, par la répression, un seul discours : celui des génocidaires et de leurs complices.
Les tentatives de museler la liberté d’expression en utilisant l’antisémitisme n’ayant pas abouti devant les tribunaux, c’est l’« apologie du terrorisme » que Darmanin, ses flics et ses préfets ont trouvé comme nouveau motif d’accusation. Pendant que les dossiers s’empilent sur les bureaux des procureurs, le massacre du peuple palestinien se poursuit inexorablement. Ni les décisions de la Cour Internationale de justice, ni les appels au « cessez-le-feu » de l’ONU et de nombreuses chancelleries ne sont entendus par le « cabinet de guerre » d’Israël.
Cette répression frappe tout un chacun, partout : militant.es syndicalistes comme le secrétaire de la CGT du Nord, militant.es politiques ou associatifs, journalistes, élu.es comme Mathilde Panot, universitaires, étudiant.es, sportifs et sportives, simples citoyens qui ont exprimé sur les réseaux sociaux leur indignation face à cette tuerie de masse. Le cas le plus emblématique est sans doute celui de Rima Hassan qui est à la fois palestinienne, juriste internationale, femme et candidate aux élections européennes. Comme le dit ce 24 avril France-Culture en ouverture de son journal, cette répression n’a pas d’autre but que de "limiter l’expression politique".
Cette tentative de bâillonner le soutien aux droits du peuple palestinien est internationale. En Allemagne, un congrès sur la Palestine a été interrompu par la police et Yanis Varoufakis (ancien ministre grec du gouvernement Syriza) a été privé de parole. Aux États-Unis, la révolte étudiante contre la complicité états-unienne avec les génocidaires gronde. L’arrestation d’étudiant.es de l’université de Columbia provoque d’importantes manifestations.
L’appareil d’État français : préfets, police, présidents d’université, justice … est mobilisé pour imposer un discours unique sans lien avec la réalité, transformant les bourreaux en victimes et les victimes en bourreaux. Ce maccarthysme rappelle des heures très sombres de l’histoire de la France et d’autres pays.
L’UJFP le répète : le terrorisme n’est pas une notion de droit international. Par contre crimes de guerre, crimes contre l’humanité, apartheid et génocide sont parfaitement définis et l’État d’Israël commet ces différents crimes. Si terrorisme désigne le fait de tuer des civils désarmés, comment parler de terrorisme du Hamas sans parler d’un terrorisme infiniment plus meurtrier de l’État d’Israël ?
L’UJFP le répète : 80 % du peuple palestinien a été expulsé de son pays de façon délibérée en 1948. Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est sont occupés de façon illégale depuis 1967. Des centaines de milliers de colons occupent Jérusalem Est et la Cisjordanie en toute illégalité au regard du droit international. Et 900 000 Palestinien.nes ont connu la prison depuis 1967. Gaza est sous blocus par terre, par air et par mer depuis 2006. Maintenant, Gaza est rasée et sa population affamée et massacrée.
Non ! l’Histoire n’a pas commencé le 7 octobre. Pour reprendre l’expression des anticolonialistes israéliens, la cocotte-minute a explosé.
L’UJFP ne laissera pas les partisans du déni, pour ne pas dire du négationnisme, imposer leur discours. Comme disait Marek Edelman, commandant en second de l’insurrection du ghetto de Varsovie : « être Juif, c’est être toujours du côté des opprimés ».
Vous n’imposerez pas le silence ! C’est notre fidélité aux valeurs juives universelles qui nous enjoint d’être solidaires des Palestiniens à l’heure de la répression sanglante en Cisjordanie et de l’actuel génocide à Gaza et de la répression de la liberté d’expression en Europe et aux États-Unis.
Rappeler qu’Israël doit respecter le droit international, - ce qu’il ne fait pas depuis plus de 76 ans -, ne constitue pas une « apologie du terrorisme » !
L’UJFP apporte son soutien à celles et ceux qui ont exprimé leur opinion politique ou leur indignation face à ce qui se passe à Gaza et qui sont accusés d’apologie du terrorisme
En Italie le gouvernement néo-fasciste poursuit des intellectuels en justice
Des vents mauvais soufflent sur les intellectuels de gauche en Italie, depuis que Georgia Meloni, du parti néo-fasciste Fratelli d’Italia, est au pouvoir. Cela se traduit notamment par des procès en diffamation, le débat politique se déplaçant sur le terrain judiciaire. Je publie ici le texte d’une pétition de soutien à la philosophe Donatella Di Cesare, spécialiste de la Shoah, qui doit bientôt comparaître devant un tribunal pour diffamation envers un ministre (et beau-frère) de Georgia Meloni.
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Après l’annulation du discours que devait tenir l’écrivain Antonio Scurati le 25 avril - jour anniversaire de la victoire sur le fascisme -, sur la chaîne de télévision publique RAI, souvent interprétée comme une censure politique, de nouveaux remous touchent des intellectuels italiens qui ont eu le tort de rappeler les racines historiques du parti au pouvoir à Rome.
Ci-dessous le texte d’une pétition de soutien à la philosophe Donatella Di Cesare, spécialiste de la Shoah, qui doit bientôt comparaître devant un tribunal pour diffamation envers un ministre (et beau-frère) de Georgia Meloni.
La liberté de pensée et de parole est maintenant en danger dans plusieurs pays européens. Par cet appel, nous – philosophes, historiens, juristes, éditeurs, journalistes et intellectuels – voulons attirer l’attention sur un cas des plus graves qui se produit actuellement en Italie.
Le 15 mai 2024 la philosophe Donatella Di Cesare, figure reconnue du monde intellectuel, est citée à comparaître devant un tribunal de Rome. Elle se voit accusée de diffamation par le ministre de l’agriculture Francesco Lollobrigida – beau-frère de la Première ministre Georgia Meloni, et membre de son parti Fratelli d’Italia.
Les faits remontent à avril 2023. Lors d’un discours tenu en public sur le déclin démographique et l’immigration, le ministre Lollobrigida avait affirmé : « Nous ne pouvons nous résoudre à l’idée d’un remplacement ethnique », et il a répété ces mots : « remplacement ethnique ». Cette expression étant largement associée à la « théorie du Grand Remplacement », les mots employés par le ministre ont suscité beaucoup d’émoi. Le même soir, Di Cesare a été invitée à les commenter sur un plateau de télévision lors d’une émission très suivie.
Elle est intervenue pour recadrer le débat en rappelant, entre autres choses, que l’idée de « remplacement ethnique est un mythe conspirationniste » et qu’elle se trouve « au cœur de l’hitlérisme ». Elle a insisté sur le danger que représentent des principes inspirés du mythe d’une pureté ethnique, employé aujourd’hui par des forces d’extrême droite. Di Cesare a ajouté : « Je ne crois pas que ces mots puissent être interprétés comme un dérapage verbal, il a parlé comme un Gauleiter, un gouverneur néo-hitlérien ». Bien sûr il ne s’agissait pas d’établir un trait d’égalité, mais d’une comparaison fondée sur une similitude historique.
Dans ses recherches, Di Cesare a traité des formes nouvelles et anciennes de persécution, d’extermination et du négationisme, comme le prouvent nombre de ses essais et de ses livres. Elle a rédigé récemment, en 2020, les articles « Racisme » et « Antisémitisme » du Lexique du 21ème siècle de l’Encyclopédie Treccani. Elle s’est aussi intéressée au « remplacement ethnique », en montrant comment ce concept s’est construit, dans un chapitre du livre Conspiracy and Power (Conspiration et Pouvoir, 2023 pour l’édition en anglais).
Le mythe du « remplacement ethnique » s’est propagé au moment de l’affaire Dreyfus en France, à la fin du 19ème siècle. Mais sous sa forme actuelle il a été développé dans les écrits de Hitler et dans l’idéologie nazie, servant de prétexte à la Shoah. Ressuscité par les suprémacistes blancs, il est un mythe central de l’extrême droite. Il faut y distinguer deux aspects. L’identité occidentale serait assiégée par des vagues massives d’une immigration venue de pays non européens qui contaminent les sociétés blanches et les exploitent de façon parasitaire, au point de se substituer à elles. Qui plus est, ce remplacement serait une invasion planifiée, orchestrée au sommet par ceux qui tirent les ficelles d’une domination mondialisée.
Ce n’est pas une théorie inoffensive. Elle a débouché de fait sur plusieurs massacres terroristes : l’attaque de Buffalo aux Etats-Unis en 2022, le massacre (de musulmans rassemblés à la mosquée, NDLR) de Christchurch en Nouvelle Zélande en 2019, l’attaque de la synagogue de Pittsburgh en 2018, et les tueries d’Oslo et d’Utoya en Norvège en 2011.
En affirmant que le ministre Lollobrigida « a parlé comme un gouverneur néo-hitlérien », Di Cesare voulait mettre en lumière les liens historiques troublants derrière les mots de « remplacement ethnique ». En cela, elle n’a fait que reprendre ce qu’on pouvait lire sur la page Internet du gouvernement italien au sujet du « Département de coordination nationale pour combattre l’antisémitisme et ses formes nouvelles ». Il y est dit : « La théorie du remplacement est un mythe néo-nazi selon lequel les Blancs sont remplacés par des non-Blancs. Souvent, comme dans nombre de théories conspirationnistes, ce sont finalement les Juifs qui sont les vrais coupables. Aujourd’hui le ‘grand remplacement’ est un mythe conspirationniste d’extrême droite ».
Di Cesare voulait avertir des dangers que pose un langage agressif – en particulier quand il émane de quelqu’un qui ne parle plus comme simple membre d’un parti, mais en tant que ministre et donc avec l’autorité du gouvernement auquel il appartient.
Il est inconcevable que, dans un pays démocratique, un ministre traîne devant les tribunaux une philosophe pour des sujets touchant à la politique culturelle et à la philosophie de l’histoire, sur lesquels il devrait y avoir un débat. Rejeter le débat, c’est stigmatiser un opposant politique, qui n’est plus un interlocuteur dont on peut contester les arguments, mais un ennemi à traiter avec des mesures punitives.
De plus tout le monde peut voir la disproportion qui existe entre un ministre, fort de tout son pouvoir et de son autorité, et un simple citoyen, un professeur qui doit se défendre par ses propres moyens. Autant qu’un acte d’intimidation visant à supprimer toute forme d’opposition, ce genre de poursuite judiciaire équivaut à une véritable purge pour faire taire des intellectuels inconfortables. L’intention est d’établir une ligne rouge entre ce qui peut être dit, et ce qui ne peut l’être.
Nous ne pouvons accepter que l’Italie devienne une démocratie illibérale, vidée de sa substance, comme la Hongrie de Viktor Orban. Nous sommes perturbés par les effets de la censure qui frappe des institutions culturelles, des médias publics, des voix et personnalités du journalisme, voire des publications entières. Pour obtenir une légitimité européenne et internationale, cette partie de la droite a besoin de changer son visage – et pour cela, de réduire au silence ceux qui soulignent ses origines historiques.
Une escalade dans cette stratégie consiste à intenter des procès aux intellectuels. La Première ministre Georgia Meloni a obtenu la condamnation de l’écrivain Roberto Saviano, après qu’il a osé la traiter, elle ainsi que le vice-président du Conseil, son adjoint Matteo Salvini, de « salauds » après la mort d’un enfant sur un bateau de migrants. « Ils ont traîné devant les tribunaux la parole, la critique politique », a commenté Saviano. Cette semaine, Meloni a aussi traduit en justice l’éminent historien Luciano Canfora pour l’avoir appelée « néo-nazie ». Donatella Di Cesare, qui enseigne la théorie philosophique à l’Université La Sapienza de Rome et jouit d’une renommée considérable, est la prochaine cible.
Il est du devoir de tous ceux qui aiment la démocratie de défendre la liberté de parole. On n’a pas besoin pour cela de partager les idées ou les jugements de Donatella Di Cesare et cela nous rend d’autant plus libres d’exiger qu’elle ait le droit de les exprimer.
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