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Nouvelle Calédonie, une histoire française

samedi 25 mai 2024 par Francis Arzalier (ANC)

Notre nation fut durant plusieurs siècles une grande puissance coloniale, un passé émaillé d’esclavage, de travail forcé, de racisme, que les plus obtus eux-mêmes ne peuvent plus guère nier. Mais les plus obstinés des nationalistes français nient que la Nation en soit en 2024 marquée, ses mentalités alourdies d’un racisme aujourd’hui converti en islamophobie, de Zemmour à CNews, et son actualité égrenée des drames dans les « confettis de l’Empire », de Mayotte à Nouméa.

La plupart de ces faux naïfs franchouillards ne manquent pas d’opposer un Empire français qu’ils affirment moral malgré ses erreurs, imprégné de progressisme économique et social, en l’opposant à l’expansion anglo-saxonne, basée sur la « colonisation de peuplement » de l’Amérique du Nord à l’Australie, éradiquant sans scrupules en conséquence les peuples autochtones, Amérindiens et autres aborigènes. Mais cette opposition simpliste relève beaucoup de l’erreur historique, sinon du mensonge délibéré.

Rappelons ainsi que les Îles Caraïbes ou Antilles furent peuplées par les colons de France et leurs esclaves africains, après qu’on les a débarrassées des indigènes. Et que l’exemple de l’Algérie, qui fut le fleuron de l’Empire français, est tout aussi révélateur.
Après l’invasion impromptue de 1830, et les deux décennies suivantes de conquête militaire, les projets de colonisation se sont multipliés en France sous le Second Empire et la IIIème République, et la plupart avaient un objectif très clair : vider les « zones utiles » littorales de leurs populations islamisées, les repeupler de colons français en repoussant « les nomades Arabes » dans les montagnes de l’Atlas et les déserts du Sud, à l’exception de quelques fellahs nécessaires aux fermes coloniales.

Un projet cohérent, qui réussit à transformer en ce sens quelques villes côtières et quelques plaines fertiles comme la Mitidja, à en faire des espaces coloniaux, vastes domaines de rapport et villages et villes « blancs », grâce à la spoliation des terres autrefois possédées par les communautés rurales ou religieuses.
Malgré les déportations d’insurgés républicains en 1851, malgré les nombreux Alsaciens chassés de leur pays par l’annexion prussienne en 1870, et malgré l’attribution par la Troisième République débutante en 1870 de la nationalité française aux Juifs vivant jusque-là en harmonie avec la majorité musulmane, ainsi qu’aux Corses et aux Maltais, il fallut bien se rendre à l’évidence :

La France n’était pas en mesure de réaliser l’objectif colonial de submersion démographique. L’Algérie dominée du vingtième siècle, supposée départements français, vit sa composante « arabe » dépasser les 80 pour cent.

Le « colonialisme de peuplement » fut donc aussi une volonté de la bourgeoisie française (qui aboutit à la Réunion par exemple), mais elle ne fut pas historiquement en mesure de l’accomplir, notamment en Afrique du Nord. Mieux, cette volonté demeure ancrée dans son inconscient actuel, comme le montre l’actualité de Nouvelle Calédonie.

Nouvelle Calédonie, une complexe histoire coloniale

Cet archipel tropical du Pacifique, au large de l’Australie (sa « grande île », la plus vaste du Pacifique Sud si l’on excepté le continent australien, fait quelques 50 kilomètres de large pour plus de 400 de long. Elle fut, selon notre lecture occidentale de l’histoire, « découverte » en 1774 par le navigateur britannique James Cook. Disons plus sérieusement qu’il fut le premier Européen à rencontrer ces îles, peuplées depuis 2000 ans par des communautés rurales, dont les archéologues ont exhumé les traces (poteries dites Lapita). Les historiens s’accordent sur la présence d’une « société traditionnelle kanak 1000 ans avant l’ère chrétienne, soit plusieurs siècles avant l’arrivée des Celtes ou Gaulois dans notre Europe occidentale, dont on a dit longtemps qu’ils furent nos ancêtres.

Cette première intrusion européenne dans l’archipel kanak, n’a guère intéressé les colonisateurs britanniques, qui visèrent plutôt l’immense Australie, pour en faire leur bagne dès le dix-neuvième siècle. L’archipel des kanaks est cependant entré grâce à Cook dans la grande geste coloniale pour n’en plus sortir. Nous utilisons toujours pour le nommer le terme de Nouvelle Calédonie, qui fut inventé par Cook il y a 2 siècles et demi, parce qu’en l’abordant, ses rivages escarpés et verdoyants lui avaient rappelé ceux d’Écosse (dite en latin Caledonia) ! !

Un exemple parfait de cette distorsion de l’histoire des peuples par les colonisations, jusque dans la sémantique !

Après l’installation de quelques maigres contingents missionnaires, ce n’est qu’en 1853 qu’un officier peu connu du Second Empire français vient prendre possession de « New Caledonia » au nom de Napoléon III. Ce dernier, un cerveau fertile en velléités coloniales souvent malheureuses (cf. le désastre mexicain en 1867), décida d’en faire le bagne français du Pacifique comme la Guyane l’était en Amérique, à l’image des colons britanniques en Australie.

C’est dans cette optique coloniale de peuplement que fut fondé la ville « européenne » de Port de France, premier nom de l’actuelle Nouméa, Et dès 1868, les communautés rurales kanaks se sont vue confiner en réserves indigènes (comme aux USA à la même époque !). C’est dans ce contexte que les condamnés Communards (Louise Michel, Rochefort, etc…) sont déportés durant quelques années en Nouvelle Calédonie, avant l’amnistie de 1879-80. Certains de leurs descendants font partie des « Caldoches » actuels, d’origine européenne.

En 1874, débute petitement l’exploitation du nickel par les colons français, avec une main d’œuvre importée du Vanuatu, de Mélanésie Pacifique, ou du Vietnam.
En 1878, un soulèvement des certaines tribus kanaks est écrasé avec férocité par les colons
(L’anarchiste Louise Michel fut une des rares déportées de la Commune à la dénoncer). À la fin du dix-neuvième siècle, les Kanaks sont regroupés sur 10 pour cent du territoire, selon une procédure utilisée dans l’Ouest nord-américain.

Le vingtième siècle et la crise mondiale des empires coloniaux


Le manque de combattants durant la Première Guerre Mondiale a conduit les autorités françaises à desserrer un peu cet étau, ce qui a permis d’envoyer sur le front en France un contingent de 900 tirailleurs kanaks, dont près de 400 ne revinrent pas. Ce sera plus fort encore à l’occasion de la Deuxième Guerre Mondiale, les autorités de l’archipel se ralliant dès 1940 à la France Libre du Général De Gaulle, qui y recruta le « Bataillon du Pacifique » : de 1942 à 1946, la colonie française abrita le Centre de Commandement Interallié du Pacifique, et près d’un million de soldats américains. Conséquence de la défaite nazie, parallèlement à la création de la « France d’Outre-mer » , la Nouvelle Calédonie fut promue « Territoire d’Outre-mer français », et les mesures discriminatoires de l’Indigénat furent abolies en 1946.


À partir de 1960, la mise en chantier du nickel, richesse minière essentielle de l’archipel, est venue bouleverser la société calédonienne, sur le plan démographique, social, et politique.
Créant des inégalités sociales croissantes entre « brousse » et quartiers urbains : l’agglomération de Nouméa s’est élargie, opposant les « beaux quartiers » gonflés de métropolitains attirés par les douceurs tropicales (« le Saint Tropez du Pacifique » selon certains) et des zones périphériques pauvres, surpeuplées de jeunes Kanaks souvent réduits au chômage par l’importation de main d’œuvre mélanésienne.
Paradoxalement, le nickel, cette richesse du territoire, a eu pour résultat d’y aggraver les antagonismes sociaux et idéologiques.

Sur le plan politique, se sont développés d’un côté le parti indépendantiste kanak, le FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak Socialiste) animé au départ par Tjibaou, et ceux liés à la Droite française dits « Loyalistes », favorables au maintien de la tutelle coloniale (le parti RPR de Jacques Lafleur, soutenu par les « Caldoches « d’origine européenne).

Ce clivage fut évidemment nourri après 1960 par la vague décoloniale mondiale, répercutée par l’Assemblée générale de l’ONU, mais aussi par la destruction de l’Empire français, grâce au soulèvement des peuples d’Indochine et d’Algérie et les indépendances africaines. De 1984 à 88, ces clivages se sont traduits par des incidents de plus en plus violents dans l’archipel, qui ont culminé avec la sanglante répression des preneurs d’otages de l’île d’Ouvéa.

Les espoirs déçus d’une fin de siècle

L’émotion internationale entraînée par ces événements successifs (y compris internes au mouvement national qui ont entraîné l’assassinat du militant Tjibaou) ont amené les dirigeants politiques français les plus lucides comme Michel Rocard à élaborer un projet de décolonisation concrétisé par les accords dits de Matignon (1988) et de Nouméa (1998).
Cet accord entre les trois protagonistes, FNLKS, « Loyalistes », et État français, pouvait mettre en place en quelques décennies une évolution pacifique du territoire, dans le respect des résolutions de l’ONU prescrivant l’autodétermination des peuples colonisés. Il reposait sur la volonté acceptée par les trois signataires d’une autonomie politique et économique de la nation kanak, la résidence garantie par elle d’une minorité d’origine métropolitaine, et la préservation des prérogatives géopolitiques de la France en Pacifique-Sud, espaces maritimes et fonds marins littoraux.

Ce « compromis historique » reposait sur la capacité d’hommes d’état des dirigeants politiques français et kanaks de la fin du siècle 20 de projeter un avenir progressiste et pacifique, « gagnant-gagnant », de leurs nations respectives. Jalonné de référendums successifs, il ne pouvait évidemment aboutir que dans le consensus des signataires et des dirigeants de la France.

Malheureusement, il semble bien qu’une bonne partie de la bourgeoisie française et des politiciens qui la représentent au sein de l’État, soient incapables de se débarrasser de leurs attachement dépassé (et volontiers raciste) à la colonisation de peuplement et au « colonialisme de grand-papa. » C’est notamment le cas des Macroniens, au pouvoir à Paris avec leur chef de file depuis 2017, qui ont confié le « dossier Calédonien » au Ministre de l’Intérieur Darmanin, qui l’a géré avec ses conseillers issus de la Droite Caldoche. Leur objectif permanent, à l’opposé de l’esprit des accords de Nouméa, est de pérenniser la tutelle française sur l’archipel en favorisant au maximum la croissance des résidents d’origine métropolitaine.

Cet objectif de submersion démographique est aujourd’hui atteint :
Sur 270 000 habitants au total, l’archipel ne compte plus que quarante pour cent de kanaks !

Parallèlement, les dirigeants de l’État français ont rompu avec leur rôle d’arbitre des accords de Nouméa. Les décisions politiques par consensus ont été remplacées par des choix imposés à la partie kanak : C’est ainsi qu’ils ont organisé en 2021, en pleine épidémie de Covid, un référendum sur l’indépendance malgré l’opposition de la partie kanak, la contraignant ainsi à l’abstention, pour parvenir à un score absurdement favorable à la tutelle coloniale.
Et, cerise sur le gâteau, les Macroniens ont fait voter en mai 2024 grâce aux députés et sénateurs de Droite et Extrême-droite un projet de loi prévoyant l’élargissement du corps électoral à de nouveaux résidents d’origine métropolitaine.

Cette ultime provocation, destiné à clouer définitivement le cercueil des accords de décolonisation, est la cause directe des récentes émeutes, qui ont enflammé les quartiers de Nouméa, un incendie né de la misère des jeunes kanaks à côté des rues « Métros » suant la richesse, sur fonds de mépris colonial.
Nos médias, toujours gourmands de délinquances à connotation raciste quand il s’agit des ghettos du 93, ont multiplié les discours moralisateurs sur les pillages, les blessés et les 6 morts. Ce qui est évidemment regrettable, et condamné par les leaders du FLNKS, mais laisse le public français ignorer la prolifération de milices « caldoches » armées, à l’image de celles de l’OAS en Algérie 1960, et qui sont responsables de la majorité des victimes d’armes à feu.
Il est évident en tout cas que les proclamations enflammées de Darmanin sur la répression comme solution unique, et ses accusations ineptes contre les ingérences des Azéris (!) et au-delà, des Russes et des Chinois, n’étaient que de l’huile sur le feu, digne des pires temps de la Guerre d’Algérie d’il y a 70 ans…

Enfin, le monarque macron vint apporter la solution ?

Grand branle-bas sur nos petits écrans supposés nous informer le 22 mai : Emmanuel Ier Macron est en route, dans un avion qui l’amène à l’autre bout du globe, dans cette Nouvelle Calédonie mise à feu et à sang par des méchants payés par d’ambitieux Azéris, cachant dans leurs jupons Russes et Chinois. En fait, des maladroits au Gouvernement Français ont cru bien faire, et se sont révélés indignes de la mission qu’il leur avait confiée.
Ce pauvre Président doit tout faire lui-même !

Mais une fois parvenu à la grande île embrasée, il va solutionner le contentieux en quelques pensées lumineuses, éteindre l’incendie et « organiser le dialogue » : notre Superman Élyséen va arriver à Nouméa et tout sera enfin réglé.

Ce conte de fées pour débiles, évidemment, a oublié de rappeler deux éléments déterminants :
1/ que rien en France n’est décidé au niveau de l’État sans l’assentiment du Président.
2/ que le principal organisateur du désastre récent, l’ineffable Darmanin, est aussi du voyage. Et ses gendarmes affluent à Nouméa.

On ne sait pas, évidemment, les positions véritables de Macron lors de ses diverses rencontres, d’autant que ce politicien médiatique emballe toujours ses analyses de grands mots pas très clairs, et nous a habitués à des volte-face fréquentes, avec l’objectif essentiel de mettre en avant son égo, son personnage de leader international. Laissons-lui donc une chance de le faire, en replaçant la crise calédonienne dans sa réalité, une grande île du Pacifique dont le peuple kanak ne doit plus être dépossédé de son droit imprescriptible à l’autodétermination.

C’est à dire le droit de choisir eux-mêmes leur destin, de gérer comme ils l’entendent leurs richesses minérales, de choisir librement leurs partenaires internationaux, politiques et économiques.
Une évolution en ce sens serait le seul moyen de garantir pacifiquement la présence dans la grande île d’une minorité européenne héritée du passé.

Le seul moyen d’éviter une issue sanglante à l’Algérienne, avec au bout le « rapatriement » dramatique de dizaines de milliers de familles « européennes », comme en 1962.

Si Macron veut démontrer qu’il est un homme d’État, lucide et soucieux de l’avenir de la Nation française, il lui reste à remettre en chantier la démarche décolonisatrice des Accords de Nouméa, reconnaissant enfin les droits du peuple Kanak sur sa terre.
Il est évident que cela implique la rupture totale avec la connivence précédente avec les remugles coloniaux qui ont amené le vote avec Droite et Extrême droite d’un projet de loi imprégné de la colonisation de peuplement.

À lui de décider quelle image il veut laisser dans l’histoire !


Révoltes en Kanaky - Le Monde vu d’en Bas par Saïd Bouamama

   

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