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Bilan provisoire d’une brutale répression policière et judiciaire en Kanaky
C’est déjà là-bas et ... bientôt ici !
samedi 6 juillet 2024 par Les sévices pénitentiaires
La machine judiciaire a toujours été utilisé pour contrôler socialement, faire pression ou tenter d’écraser les Kanaks. La période actuelle est cependant particulière par l’ampleur des arrestations et des procédures en quelques semaines.
Par Les Sévices Pénitentiaires
La répression de la révolte kanak en cours ne se limite pas aux transfèrements de sept leaders indépendantistes dans les prisons de l’hexagone. Nous en publions ici un bilan provisoire très précis et provisoire qui montre que des milliers de Kanak en ont été victimes à la date du 23 juin 2024, avec notamment des enfermements jusqu’en Polynésie française et aussi dans le centre pénitentiaire de Nouméa, dit « Camp-Est » où les conditions de vie des détenus sont désastreuses.
Au 23 juin, depuis le 12 mai 2024 :
1 455 personnes ont été interpellées [1]
1 260 personnes ont été placées en garde à vue [2]
210 personnes ont été déférées (présentées devant un magistrat) au parquet [3]
93 personnes ont été incarcérées au Camp-Est [4]
Plus de 340 personnes ont été convoquées en justice [5]
Plus de 260 personnes ont fait l’objet de mesures alternatives sous forme de travail non rémunéré ou d’amende [6].
Ces éléments appellent plusieurs questions sur le traitement judiciaire de « la situation ainsi créée » :
Les incarcérations et transfèrements ;
Les enquêtes judiciaires ;
Les peines prononcées ;
Les gardes à vue ;
Les violences physiques et/ou morales commises par les forces de l’ordre ;
Les victimes civiles.
Sur les incarcérations et transfèrements
Combien de personnes incarcérées sont transférées depuis le 12 mai à la prison du Nord, à Mā’ohi Nui (Polynésie Française) et dans les prisons en France ?
Les chiffres d’incarcération communiqués ne concernent que le centre pénitentiaire de Nouméa.
Or :
Au 24 mai, au moins 30 personnes détenues ont été transférées au centre de détention de Koné, opérationnel depuis février 2023, « qui avait presque déjà atteint la capacité théorique d’accueil », selon le syndicat FO Justice CDK [7].
Le 3 juin, le procureur général Bruno Dalles indique sur la radio Radio Rythme Bleu qu’« il y a […] une soixantaine de détenus qui, dans les semaines qui viennent […], sont en train d’être programmés pour des transferts en métropole […] ». [8]
Par Infolibertaire, on apprend qu’« il a également été décidé de transférer vers la Polynésie […] les prisonniers condamnés à de longues peines. » [9]
Dans quelles conditions les personnes détenues antérieurement au 12 mai sont-elles transférées en France ?
Dans quelle mesure les personnes détenues sont informées de la décision de transfèrement, de ses conséquences et des recours à leur portée ?
Les familles sont mises devant le fait accompli du transfèrement de leur proche détenu, sans savoir dans quel établissement pénitentiaire exactement ils se trouvent désormais.
Comment sont justifiés les transfèrements en détention provisoire* en France ?
Détention provisoire : dans l’attente du jugement.
7 militant·e·s, considéré·e·s comme « commanditaires présumés » des incendies et pillages, ont été transféré·e·s en détention provisoire dans 7 établissements pénitentiaires différents en France dans la nuit du 22 au 23 juin. [10]
On apprend le 23 juin, lors de l’allocution du procureur de la république Yves Dupas sur RRB, qu’une autre personne a déjà été placée en détention provisoire en France, mise en examen pour homicide volontaire. On ne sait pas de quel homicide il s’agit ni en quoi cela justifie le transfèrement en détention provisoire. [11]
Combien de personnes incarcérées en détention provisoire et pour quels motifs ?
Pour les 93 personnes incarcérées au Camp-Est, à la date du 23 juin, le sont-elles en détention provisoire ou ont-elles été jugées ?
Dans les deux cas, quels sont les motifs d’incarcération ?
Combien de peines d’emprisonnement ont été prononcées et sont à venir ?
Le procureur général précise, sur RRB le 3 juin, que les chiffres d’incarcération communiqués correspondent aux mandats de dépôt, et « il y a beaucoup plus de peines d’emprisonnement et toutes les peines d’emprisonnement ne donnent pas lieu à une exécution immédiate ».
Il précise également que certaines convocations en justice auront lieu en juillet ou en août. [12]
Des personnes mineures sont-elles incarcérées depuis le 12 mai ?
Les chiffres d’incarcération ne précisent pas l’âge des personnes incarcérées.
Or, au 13 juin, les « jeunes mineurs » représentaient 10,25% des personnes placées en garde à vue (104 sur 1 014). [13]
Que s’est-il passé suite aux révoltes dans l’enceinte du Camp-Est ?
Deux révoltes se sont déroulées dans l’enceinte du Camp-Est, l’une le 13 mai et l’autre dans la nuit du 14 au 15 mai, au cours desquelles plusieurs cellules ont été détruites par le feu [14].
Qu’en est-il des travaux de réfection ainsi que du traitement disciplinaire par l’administration pénitentiaire ?
Comment sont les conditions actuelles d’incarcération ?
Au 1er mai 2024, le Camp-Est présentait un taux de surpopulation carcérale de 154.65%, c’est-à-dire qu’il y avait 603 personnes détenues pour une capacité opérationnelle de 390 places d’après le ministère de la justice. [15]
Or, ce calcul établi par l’administration pénitentiaire est à revoir à la hausse, comme le relève le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dans son rapport de 2019 [16], dans la mesure où les cellules ne respectent pas les normes minimales du Conseil de l’Europe.
La véritable capacité opérationnelle du Camp-Est se rapprocherait donc plutôt du nombre de cellules (230) que du nombre de lits (390), ce qui fait un taux réel de surpopulation carcérale de 297%.
Par le passé, le Camp-Est a fait l’objet de deux procédures d’urgence de la part du CGLPL, suite à ses visites en 2011 [17] puis en 2019, pour ses conditions de détention vétustes et indignes entraînant de nombreux problèmes de santé physique et mentale.
En 2022, chaque semaine, une personne détenue tente de se suicider. [18]
Du fait de la surpopulation carcérale et de la tension actuelle, quelles sont les conditions d’incarcération actuellement ?
Sur les enquêtes judiciaires
Où en sont les investigations concernant les milices et les exactions (assassinats) qu’elles ont commises ?
Dès les premiers jours de la révolte kanak, plusieurs personnes ont témoigné à l’aide de vidéos, photos et audios sur l’existence de milices. Malgré l’interdiction par arrêté du port d’armes, le couvre-feu et le délit d’attroupement armé, ces milices circulent de jour comme de nuit dans le grand Nouméa et tirent sur des personnes kanak.
Le 16 mai, le haussaire [19] Louis Le Franc les qualifie d’« assassins […] qui créent les conditions d’une spirale mortelle » [20] avant de se rétracter.
Deux élus de la Province Sud, Philippe Blaise [21] et Gil Brial [22], ainsi que la police [23] sont impliqués dans les milices.
Parmi les 9 morts officielles à ce jour, 6 (dont un gendarme) seraient liées aux milices.
Où en sont les investigations concernant les incendies volontaires ?
Dans l’imaginaire collectif, tous les incendies sont imputés à la jeunesse kanak. Mais qu’en est-il réellement ? Des incendies peuvent-ils avoir été causés intentionnellement pour bénéficier des assurances ?
Le président du comité des sociétés d’assurances reconnaît, dans une interview le 11 juin, que « c’est déjà arrivé par le passé en Calédonie » [24].
Sur les peines prononcées
Pourquoi les peines prononcées vont au-delà des réquisitions du parquet ?
Quelques exemples :
Le 29 mai, deux personnes ont été condamnées à six mois de prison ferme pour jets de cailloux sur forces de l’ordre, alors que le parquet avait requis six mois avec sursis. [25]
Quelles mesures ont été mises en place pour les Placements sous Surveillance Électronique (bracelet électronique) ?
Suite aux révoltes au sein du Camp-Est, un surveillant témoigne : « Le serveur dont nous dépendons et qui nous relie à la métropole a brûlé, et donc il n’était plus possible de faire certains actes de procédure de façon informatique… nous avons aussi perdu la main sur les bracelets électroniques à domicile. Et il y en a beaucoup sur l’île, entre 180 et 200. Cela n’arrête pas de sonner pour signaler des incidents de gens qui ne sont pas chez eux. Mais nous n’avons aucune idée de là où ils sont. C’est comme les détenus en semi-liberté. Beaucoup ne rentrent pas. Ils sont donc tous en état d’évasion ». [26]
Cela a-t-il été réparé ?
Sur les gardes à vue
Quels sont les motifs de garde à vue ?
Au 3 juin :
Près de la moitié des gardes à vue sont motivées pour vol et recel de vol (300-320 sur 647) ;
Une sur cinq pour tirs et jets de cailloux sur les forces de l’ordre et atteintes aux personnes (100-120 sur 647) ;
Quels sont les motifs des autres gardes à vue ?
Comment le droit à l’assistance d’un·e avocat·e en garde à vue est-il respecté ?
Selon l’article 63-3-1 du Code de procédure pénale, dès le début de la garde à vue et à tout moment au cours de celle-ci, la personne peut demander à être assistée par un avocat désigné par elle ou commis d’office [27]].
Or, on apprend, dans un article de La Voix du Caillou daté du 15 juin, que les avocat·e·s ont « pour consigne, par mesure de sécurité, de ne prendre les gardes à vue qu’au commissariat central de Nouméa » [28].
De quelle instance émane cette consigne et comment le droit à l’assistance d’un avocat·e est-il protégé dans les autres commissariats et les gendarmeries ?
Sur les violences physiques et/ou morales commises par les forces de l’ordre
Qu’en est-il du traitement des violences physiques et/ou morales commises par les forces de l’ordre ?
Si le policier municipal auteur des violences commises le 25 mai au 6e km a été condamné [29], qu’en est-il de toutes les violences physique et/ou moral des forces de l’ordre ?
Le 4 juin, un jeune homme témoigne avoir été « tiré par le col […] comme un animal » et « plaqué au sol » lors de son interpellation, par la brigade anti-criminalité (BAC), pour port de bibiche. Placé en garde à vue, il a fait l’objet de trois fouilles et palpations « bien loin », a été menotté, « poussé comme des chiens sur le p’tit banc », ordonné d’« attendre la tête qui regarde au sol ». Il a répondu à des questions « qui étaient déjà préparées », avec des « propos déplacés, limite racistes » : « Ils disaient qu’on était tous cons, qu’on était bons qu’à rester cons […], qu’on est bons qu’à casser, qu’on changera pas, qu’on est bêtes […], ils nous rabaissaient plus bas que terre, en disant que tous les jeunes Kanak on est bêtes ». [30]
Plusieurs témoignages, dont des vidéos, indiquent également que les forces de l’ordre détruisent le drapeau de Kanaky.
Plusieurs témoignages rapportent également que les forces de l’ordre entrent en terre coutumière et détruisent ou empoisonnent les denrées alimentaires.
Sur les victimes civiles
Combien de personnes civiles blessées ?
Si le nombre d’agents des forces de l’ordre blessés est régulièrement indiqué dans les points de situation du haussariat, aucune donnée n’apparaît concernant les personnes civiles.
Le 20 mai, le chirurgien François Jourdel témoigne sur RTL de son travail qui relève actuellement de la « chirurgie de guerre » auprès de plusieurs personnes blessées par balle à la tête. [31]
Dans un article d’Infolibertaire daté du 8 juin, on peut lire que « plusieurs insurgés ont perdu un œil ou ont les os du visage fracassés suite à des tirs policiers de flash ball, d’autres présentent des blessures par balles et sont dans le coma ». [32]
Y a-t-il des personnes disparues ?
Le 28 mai sur NC1ère, le procureur de la république affirme qu’aucune disparition n’a été déclarée. [33]
Or, le 29 mai à l’Assemblée nationale, le député Davy Rimane rapporte que plusieurs familles ont saisi des avocat·e·s pour des cas de disparition. [34]
Toutes ces questions sans réponse nourrissent la peur et la colère.
Les porter publiquement en justice, afin de les résoudre, contribuera profondément et durablement à l’apaisement et la guérison des traumatismes.
[2] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/emeutes-en-nouvelle-caledonie-zoom- sur-un-mois-de-travail-judiciaire-1498556.html
[3] idem
[4] idem
[5] idem
[6] idem
[7] https://fojustice.fr/web/prison-de-kone-letat-durgence-en-nouvelle-caledonie-la-400-d emenage-a-kone/
[10] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/crise-en-nouvelle-caledonie-7-militants-de-la-ccat-transferes-vers-l-hexagone-cette-nuit-pour-quelles-raisons-et-pour-quels-chefs-d-accusation-1499327.html
[13] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/programme-video/la1ere_nouvelle-caledonie_journal-de-19h30-de-nouvelle-caledonie/diffusion/6140312-edition-du-dimanche-23-juin-2024.html
[15] https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/statistiques-mensuelles-population-detenue-ecrouee-0
[16] https://www.cglpl.fr/2021/rapport-de-la-deuxieme-visite-du-centre-penitentiaire-de-noumea-nouvelle-caledonie/
[17] https://www.cglpl.fr/2013/rapport-de-visite-du-centre-penitentiaire-cp-de-noumea-nouvelle-caledonie/
[19] Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie est le représentant de l’État français en Nouvelle-Calédonie, avec rang de préfet,
[21] https://www.mediapart.fr/journal/france/290524/nouvelle-caledonie-un-elu-les-republicains-caledoniens-parmi-les-milices
[22] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/province-sud/noumea/un-jeune-policier-passe-a-tabac-par-des-voisins-vigilants-dans-le-quartier-de-tuband-a-noumea-1493840.html
[23] https://www.mediapart.fr/journal/france/290524/lors-des-revoltes-en-nouvelle-caledonie-des-habitants-armes-ont-ete-soutenus-par-la-police
[24] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/province-sud/noumea/crise-en-nouvelle-caledonie-il-y-a-plus-de-200-maisons-900-entreprises-et-600-vehicules-sinistres-depuis-le-debut-des-emeutes-estime-le-president-du-comite-des-societes-d-assurances-1495877.html
[25] https://www.mediapart.fr/journal/france/300524/six-mois-de-prison-pour-un-jet-de
bouteille-en-nouvelle-caledonie-la-repression-des-revoltes-est-en-marche–]
Le 18 juin, une personne a été condamnée à deux ans de prison ferme pour jets de cailloux sur forces de l’ordre, alors que le parquet avait requis huit mois. L’avocat de la défense exprime être « particulièrement stupéfait de la décision rendue » car il y a « eu des décisions bien plus pondérées, par le passé, pour ce type de profil ». [[https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/province-sud/video-emeutes-en-nouvelle-caledonie-au-tribunal-de-noumea-les-comparutions-immediates-se-succedent-1497893.html
[27] [https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000049461462#:~:text=D
%C3%A8s%20le%20d%C3%A9but%20de%20la,l’article%2063%2D2.
[29] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/province-sud/noumea/crise-en-nouvelle-caledonie-l-agent-de-la-police-municipale-de-noumea-auteur-de-violences-condamne-a-sept-mois-d-emprisonnement-1496792.html
[30] https://www.facebook.com/Knewn/videos/live-avec-f%C3%A9r%C3%A9-sur-les-informations-concernant-le-p%C3%B4le-justice-de-vdt-%C3%A0-20-heure/1191336631887744/
[31] https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/invite-rtl-nouvelle-caledonie-a-s-apparente-a-la-chirurgie-de-guerre-temoigne-un-medecin-de-noumea-7900386057
[33] https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/programme-video/la1ere_nouvelle-caledonie_journal-de-19h30-de-nouvelle-caledonie/
[34] http://videos.assemblee-nationale.fr/video.15302491_665724ff34fdf.commission-des
lois–communication-sur-le-controle-parlementaire-de-l-etat-d-urgence-en-nouvelle-ca-29-mai-2024