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Les Communistes et les droits des Peuples et des Nations
dimanche 23 juin 2024 par Francis Arzalier (ANC)
Les élections européennes de la récente période ont amené les militants de l’ANC à rencontrer des membres d’autres organisations politiques, dont certaines se sont révélées « identitaires », proches de nationalismes d’extrême-droite. Mettant en avant notre dénonciation de l’Union Européenne, elles sollicitaient « un dialogue », voire une alliance.Nous avons du leur préciser, que si nous pouvions nous retrouver contre certaines billevesées mondialistes du Capitalisme ultra-libéral et impérialiste qui nous enserre, un accord politique entre nous était exclu, car nous combattons résolument tout nationalisme, toute xénophobie, tout racisme. Et le danger croissant et récent des Extréme-Droites en Europe et en France confirme cette clarification nécessaire.
C’est dans cette optique de clarification que nous publions cette réponse de Francis ARZALIER , historien et militant de l’ANC, à la sollicitation d’un militant nationaliste corse.
Monsieur
Merci beaucoup de votre courrier. J’y répondrai en tant que militant de l’Association Natonale de Communistes de France, un des mouvements politiques dont l’idéal communiste affirmé consiste à s’accrocher aux valeurs fondatrices de 1920, la lutte contre le Capitalisme et contre l’Impérialisme...
Vous devez savoir que j’ai eu durant des décennies des relations fortes avec la Corse, dont mon épouse est originaire. J’ai par ailleurs fréquenté longuement des militants issus de la Résistance antifasciste Corse, dont la spécificité par rapport à celle du Continent est d’avoir dirigé l’insurrection de 1943 : Léo Micheli, la famille de Jean Nicoli, et celle de mon épouse. Et aussi des participants au renouveau « corsiste » à partir des années 60-70.
Ce qui m’a permis de publier plusieurs ouvrages sur l’histoire de la Corse (« les Perdants » ,« Biographie de Jean Nicoli « « les Corses et la colonisation », « Militantisme et désir de pouvoir chez quelques Corses , de Nicoli à Sabiani « , etc), chez divers éditeurs nationaux ou insulaires (la Découverte, Albiana, Colonna d’Istria) et d’apporter ma contribution à des colloques sur la Résistance en Corse.
Merci de m’avoir transmis votre analyse personnelle de cette histoire insulaire, ce qui m’amène et c’est très bien, à clarifier les miennes.
J’y retrouve en plus fouillé ce que j’ai souvent entendu chez des amis et collègues attachés au « nationalisme corse ».
Vous avez raison de constater que nous sommes en désaccord total sur certains points...
D’abord sur la définition de la nation, qui pour un historien réellement marxiste, doit découler de toutes les contributions de penseurs et militants qui ont enrichi les découvertes fondamentales du penseur allemand de 1848, Lénine, Gramsci, Mao, HoChi Minh, Mariategui, Fidel Castro, et quelques autres.
Dans cette cohorte marxiste, le praticien du Socialisme soviétique Staline a apporté sa contribution, mais il a pu comme d’autres se tromper lourdement. Pour moi, on ne peut partir seulement de sa définition simpliste de la nation, en faire une « parole sacrée « , et attribuer à partir de là le qualificatif de nation ou pas.
Les critères objectifs qu’il énumère définissent un peuple, c’est à partir de cette analyse stalinienne que les Juifs en Union Soviétique se voyaient proposer d’inscrire sur leur carte d’identité « de nationalité juive », ce qui est fort discutable, et a justifié le soutien malencontreux par l’URSS et ses alliés de la création de l’État d’Israël en 1947 et l’occupation coloniale de la Palestine (Naqba).
Tout militant ou chercheur marxiste fidèle aux idéaux fondateurs considère que tout peuple, petit ou grand, a le droit de choisir son destin sans ingérence extérieure.
C’est sur cette base anti-impérialiste que furent fondés les Partis Communistes, suivant l’exemple de la Révolution de 1917. Je pense que cet impératif doit redevenir celui des Communistes, certains par électoralisme et carriérisme l’ont fâcheusement oublié. C’est en tout cas la position de l’ANC, clairement axée sur l’anti-impérialisme, qui se manifeste actuellement par son action prioritaire contre la guerre en Ukraine et en Palestine, et les risques évidents d’une troisième Guerre Mondiale.
Ceci étant, nous serions coupables de créer des illusions en laissant croire que l’évolution institutionnelle vers l’autonomie supprimera les difficultés subies par ceux (salariés, retraités, professions libérales) qui vivent en Corse de leur travail et non de celui des autres : il faudra pour cela des luttes populaires fortes contre la spéculation immobilière, pour le développement industriel et agricole et contre le « tout tourisme » qui vise à faire de l’île le « bronze-cul de l’Europe » que les Communistes corses dénonçaient il y a déjà un demi-siècle.
C’est aussi en vertu de cet impératif marxiste selon lequel tout peuple, quelle que soit sa taille, a droit de décider de son destin, que l’ANC a intégré dans sa liste « Contre l’UE et l’OTAN » aux élection européennes un Communiste corse favorable au projet d’autonomie de l’île et pour des progrès sociaux. Car nous sommes d’accord qu’il existe bien un Peuple corse, dont l’identité, culturelle, et pas seulement linguistique, faite d’héritages collectifs nés du passé agro-pastoral et patriarcal accentué par l’insularité.
Le constater n’a rien à voir avec le nationalisme, même si la confusion a longtemps été faite en Corse et en France, au point d’empêcher les Communistes insulaires de revendiquer ce qualificatif.
Je répugne pour ma part à toute forme de Nationalismes, un ensemble d’idéologies considérant leur nation comme supérieure à celle des autres, source de xénophobies et de racismes. Ce sont des nationalismes qui ont enfanté la plupart des guerres en Europe depuis 1914, et depuis l’effondrement de l’URSS, en Yougoslavie en 1990, dans le Caucase ensuite, en Ukraine contre les Russophones, au Moyen Orient en Palestine occupée par l’État colonisateur d’Israël.
Certes ces conflits, d’Ukraine en Palestine, n’ont lieu que par la volonté de l’Impérialisme occidental à direction États-unienne, qui finance et fournit les armes aux belligérants. Mais cela n’excuse en rien les nationalistes ukrainiens ou les Sionistes israéliens.
On me rétorquera que les Nationalistes corses ne se sont pas rendus coupables au même titre de ces dérives xénophobes et bellicistes. C’est exact pour certains de leurs leaders historiques, mais la pratique des réalités Corses depuis 1960 oblige à constater les dérives dans leurs rangs vers le racisme anti-musulman, vers des « actions armées » et clandestines mêlées de règlements de comptes affairistes, etc...
Est ce un hasard si lors d’élections présidentielles et européennes, quand la mouvance nationaliste corse n’est pas représentée, une part importante de son électorat se reporte volontiers sur les candidats de l’extrême-droite française ?
En fait, on ne peut juger des divers courants nationalistes corses (et opposés jusqu’à l’élimination physique parfois) qu’en fonction d’une analyse de classe de leurs positions respectives. On ne peut occulter qu’ils sont représentatifs des intérêts d’une partie de la bourgeoisie corse, qui est une réalité sociale, politique et idéologique. Et qui ne se prive pas d’ailleurs de tirer profit de la spéculation immobilière transformant le maquis littoral en terrains à bâtir pour résidences secondaires.
Il est d’autant plus impératif de ne pas l’oublier que nous sommes engagés aujourd’hui dans la lutte contre l’Union Européenne, instrument supranational de l’offensive du Capitalisme, par la suppression des frontières nationales et des conquêtes sociales qu’elles incarnent.
Les politiciens nationalistes et « autonomistes » de l’île, de Talamoni à Siméoni, partagent la vision libérale et fédéraliste de l’UE, qui pourrait donner à une Corse séparée de la République française pour devenir une entité de la Fédération européenne dans le grand marché capitaliste mondialisé, et pourquoi pas un « paradis fiscal » comme Malte ou le Luxembourg, avec les profits que cela génère pour la bourgeoisie locale.
Je ne partage pas d’ailleurs ta démonstration au sujet de la « nation corse ». Même si Staline l’a dit, le fait qu’il existe un peuple corse (critères objectifs), ce qui lui donne indéniablement le droit à l’autodétermination, à décider de son avenir.
Il n’existe de nation (un concept subjectif ) que quand ses membres aspirent massivement à constituer ce peuple en une entité politique séparée.
Ce qui n’est pas le cas en Corse pour un tas de raisons historiques. La grande majorité des insulaires refuse toute rupture avec l’ensemble national français, forgé depuis plus de deux siècles par les épisodes successifs d’intégration volontaire à la nation française : le ralliement de Paoli à la Révolution française, l’épopée napoléonienne, la participation majeure des Corses au service de l’Empire colonial de la France, la Résistance antifasciste.
Il faut à ce sujet respecter l’opinion exprimée par la grande majorité du Peuple corse.
Fraternellement
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