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La CGT doit apporter un soutien sans ambiguïtés au peuple palestinien
lundi 5 février 2024 par CGT/Alain Marshal/Jean Pierre Page
Lettre ouverte au Bureau confédéral de la CGT, rappelant quelques faits historiques et principes fondamentaux trop souvent occultés. Elle est notamment signée par Jean-Pierre PAGE, ancien responsable du Département international de la CGT, et Dominique NATANSON, porte-parole de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP). Les signatures restent ouvertes à tous.
Enfin, nous vous communiquons ci-dessous la réponse adressée par Jean-Pierre Page à un camarade qui remettait en cause notre démarche. Elle me parait un appel très éloquent à signer et faire signer cette pétition, pour que la CGT soit à la hauteur de son héritage et des enjeux considérables qui se jouent aujourd’hui avec le martyre du peuple palestinien. Nous assistons au premier génocide de l’histoire qui se déroule de manière pleinement assumée et sous les caméras. Salah Lamrani |
Cette lettre a initialement été adressée en tant que courrier interne avec 59 signatures (2 sections et 57 responsables & militants CGT de toute la France), sans recevoir de suite favorable. La CGT ayant un rayonnement bien au-delà de ses rangs (et même au-delà de nos frontières), les sympathisants de la CGT et/ou de la cause palestinienne sont également invités à signer cette lettre ouverte s’ils l’approuvent. Les nouvelles signatures seront ajoutées sur cette page au fur et à mesure qu’elles nous parviendront (voir les données de contact en fin de courrier).
Nous, responsables locaux, militants, syndiqués et/ou simples sympathisants de la CGT, tenons à exprimer notre frustration face aux prises de position ambigües de la CGT confédérale et de ses représentants sur la situation à Gaza et en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023. Nous déplorons tout particulièrement des déclarations susceptibles d’occulter le martyre du peuple palestinien, qui est la victime et non le bourreau depuis 1948, et une perméabilité à la propagande pro-israélienne, qui tend à établir une équivalence entre l’occupant et l’occupé, voire à inverser les rôles entre agresseur et agressé.
Les déclarations de la CGT
Le Communiqué confédéral du 9 octobre intitulé « Pour une paix juste et durable entre Israël et la Palestine » dénonçait une offensive du Hamas « d’une violence inédite, s’en prenant à de très nombreuses cibles civiles », condamnait « cette escalade qui endeuille et prend pour cible des millions de civils israéliens comme palestiniens et dessert la cause palestinienne », et adressait « tout son soutien aux victimes israéliennes et palestiniennes et à leurs familles ».
Le Communiqué confédéral du 18 octobre intitulé « Stopper immédiatement le bain de sang à Gaza », alors que les morts palestiniens se comptaient déjà par milliers, consacrait tout son premier paragraphe à la condamnation du Hamas : il parlait de « frappes terribles en représailles des actes de terreur perpétrés par le Hamas » et condamnait « cette politique du pire qui dessert la cause palestinienne », accusant ce mouvement « qui viole les droits des femmes et multiplie les arrestations arbitraires depuis près de 20 ans » d’imposer « une double peine à l’enclave ».
Plus loin, après avoir évoqué le « déplacement d’un million de personnes » à Gaza, il appelait à ce que « La générosité et les dispositions exceptionnelles (de protection temporaire notamment ») mises en œuvre avec raison dans l’accueil aux populations ukrainiennes fuyant la guerre [puissent] s’activer en direction des populations palestiniennes ».
En conclusion, la CGT adressait « tout son soutien aux milliers de victimes israéliennes et palestiniennes et à leur famille et exige[ait] la libération de tous les otages et personnes injustement détenus ».
Dans un discours du 9 novembre 2023 lors de la commémoration de la Nuit de cristal organisée par le Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes, Sophie Binet affirmait « condamner clairement le terrorisme du Hamas, l’assassinat de 1400 civils israéliens et appeler à la libération immédiate des 220 otages ».
Le mensuel de la CGT Ensemble, la Vie Ouvrière n° 19 du mois de novembre dénonçait « l’action ignoble » du Hamas le 7 octobre, qui constituait un ciblage « par le fanatisme religieux [de] la jeunesse et [de] l’expression de la liberté », « un tournant dans l’horreur » et une « action inédite de par son ampleur et sa barbarie », dont les victimes seraient « en immense majorité des civils ».
Au sujet de la rave party Nova, il était affirmé « Au moins 260 personnes tuées, par balle ou à l’explosif, parce qu’elles étaient juives ».
Au mois de janvier 2024, alors que les habitants de Gaza ont été tués par dizaines de milliers (70% des victimes étant des femmes et des enfants), déplacés par millions et soumis à une crise humanitaire de proportions bibliques, alors que plus d’un millier d’enfants palestiniens ont dû subir des amputations sans anesthésie (et il en va de même pour nombre d’accouchements par césarienne), le « Point d’étape sur les initiatives de la CGT concernant la situation au Moyen-Orient » du 9 janvier dénonce à nouveau d’emblée, côté palestinien, les « actes de terreur du Hamas » du 7 octobre, et côté israélien, « le déluge de feu qu’Israël provoque en retour contre la bande de Gaza ».
Alors qu’Israël est en accusation pour le crime de génocide à la Cour internationale de justice grâce à une initiative de l’Afrique du Sud soutenue par une cinquantaine de pays, et que la CGT s’honorerait d’appuyer, ce Point d’étape n’utilise pas le terme de « génocide » ni même de « terrorisme » à l’encontre d’Israël.
Et s’il précise que la trêve du 24 novembre « a permis la libération de 110 des 240 otages israéliens », il ne dit aucun mot des dizaines de femmes et enfants palestiniens qui ont été également libérés dans l’accord conclu entre le Hamas et Israël.
Enfin, le journal Ensemble, la Vie Ouvrière n° 21 de janvier 2024 souligne à nouveau que « La CGT a immédiatement condamné “les actes de terreur perpétrés par le Hamas le 7 octobre” et les “frappes terribles en représailles” opérées par l’armée israélienne sur la population de Gaza » ; et dans une interview de l’avocate en droit pénal et en droit international Clémence Bectarte intitulée « Dans la conduite de la guerre, tout n’est pas permis », celle-ci y affirme au sujet du « siège subi par Gaza depuis le 9 octobre » (sic), sans être reprise ni corrigée, que « Le siège d’un territoire n’est pas en tant que tel interdit par le droit international humanitaire. Pour autant, le fait de priver une population civile d’accès à l’eau, au gaz, à l’électricité, à des soins médicaux adaptés et à la nourriture conduit à des violations du droit » (c’est nous qui soulignons).
Ces éléments de langage récurrents sont problématiques à plus d’un titre.
Quelques rappels nécessaires
Tout d’abord, il convient de rappeler que les événements n’ont pas commencé le 7 octobre 2023, mais datent de plus de 75 ans. Les 2,3 millions d’habitants de Gaza, dont la moitié sont des enfants, sont majoritairement des réfugiés du nettoyage ethnique de 1948 et de 1967 et leurs descendants, et sont soumis depuis des décennies aux affres de l’occupation, des assassinats, des massacres réguliers et de l’apartheid, ainsi qu’à un blocus impitoyable depuis plus de 15 ans constitutif d’un crime de guerre voire d’un crime contre l’humanité. Tant l’occupation que le blocus constituent un acte d’agression, le crime suprême selon le Tribunal de Nuremberg, face auquel les Palestiniens ont le droit de se défendre, y compris par la résistance armée.
La dernière « escalade » qui a mis le feu aux poudres n’est pas celle du Hamas, mais celle de la formation du gouvernement d’extrême droite de Netanyahou, allié aux fanatiques religieux, et toutes les politiques suprématistes qu’il a mises en place pour liquider définitivement la cause palestinienne, notamment la colonisation massive en Cisjordanie, la persécution des prisonniers politiques, les provocations répétées à la mosquée Al-Aqsa et le resserrement de l’étau sur Gaza.
Il n’est pas acceptable de renvoyer dos à dos une puissance coloniale jouissant du soutien total de la superpuissance américaine et des capitales impérialistes, ainsi que de leur formidable machine de propagande, et un peuple opprimé et sans défense qui lutte pour faire valoir son droit à l’autodétermination, à la sécurité et à la dignité.
Il n’est pas acceptable de déplorer les victimes israéliennes avant les victimes palestiniennes, et de faire endosser au Hamas, représentant légitime et démocratiquement élu [1] de la population palestinienne à Gaza, la responsabilité des millions de vies palestiniennes – et seulement palestiniennes – qui sont quotidiennement mises en danger par les frappes israéliennes sans précédent contre la population du camp de concentration de Gaza.
Le conflit est asymétrique, et les mouvements armés palestiniens ne sont pas en mesure de faire peser un tel danger sur les populations israéliennes. Faire endosser au Hamas la responsabilité des massacres perpétrés par Israël à Gaza, ce serait comme imputer à la Résistance française la responsabilité des actions de représailles de l’occupant nazi contre les populations civiles.
D’autant plus que l’opération du 7 octobre a été pensée et réalisée à l’initiative du Hamas, mais avec la participation directe de toutes les composantes de la Résistance palestinienne à Gaza, y compris des organisations marxistes-léninistes comme le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP, dont était membre le doyen des prisonniers politiques européens, Georges Abdallah) et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP).
Il n’est pas acceptable de condamner les violences « artisanales » des factions de la résistance palestinienne avec la même fermeté, voire davantage, que les violences « industrielles » de l’occupation, bien plus considérables, récurrentes et systémiques, ni de renverser le rapport logique, chronologique, légal et moral entre oppresseur et opprimé, agresseur et agressé, colon et colonisé, occupant et occupé. Lorsque les crimes commis de part et d’autre sont incommensurables, le langage ne doit pas être équivalent, et encore moins condamner plus sévèrement la partie la plus lésée.
Il n’est pas acceptable de qualifier tous les Israéliens, y compris les soldats de l’occupation capturés par la résistance palestinienne, d’ « otages », et de parler de « détenus » ou « prisonniers » pour les plus de dix mille Palestiniens aujourd’hui emprisonnés par Israël (le nombre a doublé depuis le 7 octobre, des milliers de Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie supplémentaires ayant été arrêtés arbitrairement voire soumis à des traitements inhumains et dégradants).
Des centaines de femmes et d’enfants palestiniens font partie de ces « prisonniers », et des milliers d’entre eux sont sous « détention administrative », régime sans chef d’inculpation, extrajudiciaire et indéfiniment renouvelable.
Il n’est pas acceptable de prétendre que les Israéliens sont victimes de l’antisémitisme palestinien, et sont ciblés parce que Juifs. Ils sont ciblés parce qu’ils sont considérés comme des occupants, qui privent le peuple autochtone de ses droits les plus élémentaires. Rien ne doit être fait qui puisse sembler cautionner l’assimilation de l’antisionisme à une forme d’antisémitisme, chantage odieux qui permet notamment à Darmanin de considérer comme un acte antisémite et illégal le simple fait de brandir un drapeau palestinien et de manifester son soutien à cette cause.
Il n’est pas acceptable de reprendre la propagande génocidaire israélienne sur les « actes de terreur atroces du Hamas » le 7 octobre ayant délibérément causé la mort de « 1 400 civils » (le nombre des victimes israéliennes a depuis été ramené à environ 1 200 personnes).
En l’absence des résultats d’une commission d’enquête, qui ne peut survenir qu’après le conflit en cours, et au vu de la censure militaire totale imposée à tous les médias en Israël même en temps de paix, les déclarations de l’armée israélienne terroriste et de son gouvernement fasciste accusant le Hamas d’avoir perpétré des massacres de masse délibérés doivent être traitées avec la même circonspection que les déclarations du Hamas lui-même, qui affirme avoir seulement voulu capturer le maximum d’Israéliens pour libérer les siens, et impute tout crime survenu à d’autres sous-groupes palestiniens ou individus qui se sont engouffrés dans la brèche, ou à l’application par Israël de la fameuse « procédure Hannibal » selon laquelle il faut à tout prix empêcher que des prisonniers tombent vivants entre les mains du Hamas, même si cela implique d’éliminer à la fois ravisseurs et otages.
Lorsqu’on considère la liste des victimes publiée par le journal Haaretz [2], on constate que plusieurs centaines étaient des soldats (sans même parler des miliciens et du fait que les colons sont notoirement armés), un ratio inconcevable pour ce qui est des massacres perpétrés par Israël, où des centaines de civils palestiniens sont décimés pour chaque combattant tué.
D’ores et déjà, des rapports et témoignages de rescapés, qui circulent publiquement depuis la mi-octobre, accusent l’armée israélienne d’avoir tué ses propres civils via l’usage d’armes lourdes (chars, hélicoptères Apache…) durant les combats intenses à la rave party Nova et dans les kibboutz où des combattants du Hamas étaient retranchés avec leurs otages [3].
Il n’est pas acceptable de prétendre dicter au peuple palestinien la conduite à adopter pour se libérer du joug de l’oppression et de l’occupation. Si certains actes ne peuvent certes pas être cautionnés, il n’est pas pour autant opportun de les condamner en reprenant la rhétorique israélienne raciste qui déforme les faits, déshumanise les Palestiniens et vise à justifier toutes les représailles imaginables contre eux, surtout en ces circonstances où la solidarité internationale et l’opposition au projet de déportation des habitants de Gaza – que la CGT semble vouloir faciliter en appelant les autres pays à les accueillir comme ils ont accueilli les Ukrainiens, au lieu de s’y opposer catégoriquement – sont capitales pour mettre en échec les projets de « solution finale » du gouvernement Netanyahou.
Rappelons que selon le droit international, il y a un occupant, Israël, et un occupé, la Palestine. Le peuple palestinien a le droit de recourir à tous les moyens pour obtenir sa libération, y compris le recours à la force armée [4].
Quant à Israël, en tant que puissance occupante face à des acteurs non étatiques, selon la Cour internationale de Justice, il ne saurait invoquer le droit à la légitime défense [5]. Tant Gaza que la Cisjordanie sont des territoires occupés au regard des Conventions internationales et des résolutions de l’ONU.
La CGT doit renouer avec son passé anticolonial
La CGT s’honore d’avoir jadis soutenu la lutte pour la libération du peuple algérien et le FLN, à une époque où elle ne risquait pas simplement l’accusation d’apologie du terrorisme, qui a notamment frappé plusieurs de nos camarades, mais celle de participation à une entreprise terroriste et d’atteinte à la sûreté de l’Etat.
Aujourd’hui, la CGT doit avoir une même position de soutien authentique à la Palestine, surtout au moment où Gaza est soumise à une véritable guerre d’extermination et à un projet ouvertement assumé de déporter plus de deux millions de personnes dans le désert du Sinaï. Ces faits mériteraient bien davantage d’être dénoncés avec des épithètes flétrissants et chargés d’émotion, jusqu’à présent largement réservés à la dénonciation du Hamas.
Alors que des bébés prématurés sont morts par dizaines à Gaza du fait des coupures d’électricité délibérées qui ont interrompu l’alimentation de leurs couveuses à l’hôpital al-Shifa, un crime bien réel par opposition à la fable macabre des « 40 bébés décapités », ou aux « couveuses du Koweït » qui ont servi à justifier la première guerre du Golfe (sans parler des armes de destruction massive de Saddam Hussein, tant de mensonges qui appelaient à la circonspection), la CGT doit prendre ses distances avec la propagande guerrière et génocidaire répandue par Israël et ses chambres d’écho médiatiques, rejeter toute pression politique et intimidation judiciaire, et se placer résolument du côté du droit international, de la justice et de la morale.
Ne pas prendre clairement position et se contenter de condamner des « crimes de guerre » de part et d’autre, c’est faire le jeu du plus fort.
La CGT doit affirmer sans nuance un soutien ferme et indéfectible à la cause palestinienne, bannissant totalement tous les éléments de langage pouvant établir une quelconque équivalence entre les deux parties, et servir de justification ou de couverture au bain de sang en cours contre Gaza.
Contact pour signature : petitioncgtpalestine@gmail.com ou alainmarshal2@gmail.com
Merci d’indiquer le libellé complet de votre signature, comprenant a minima un nom et prénom (voire une/des initiales pour signer anonymement ; les abonnés Mediapart peuvent indiquer leur pseudo) et un département, voire une section pour les adhérents CGT. Vous pouvez ajouter une profession, un titre, un syndicat ou association, des fonctions électives, ou tout autre élément que vous souhaitez voir figurer.
Les signatures peuvent être individuelles ou à titre de collectif. Dans la liste ci-dessous, les signatures de section sont indiquées en gras, celles de sympathisants par un alinéa. Plusieurs signataires initiaux n’ont pas encore confirmé le maintien de leur signature pour la lettre ouverte – le cas échéant, ils reprendront leur place initiale sur la liste.
RÉPONSE DE JEAN-PIERRE PAGE A UN CAMARADE
« Cher camarade,
Je viens de lire tes commentaires sur cet Appel et ton refus de le soutenir. Je partage la réponse et les arguments pertinents d’Alain/Salah, par conséquent je ne les reprendrai pas. Par ailleurs, je me suis exprimé à plusieurs reprises sur les événements à Gaza, en Cisjordanie et Jérusalem et sur cette région où les enjeux géopolitiques sont si stratégiques. D’une manière plus générale, j’ai écrit sur la spoliation de cette Palestine historique qui a été depuis un siècle, colonisée, dépecée et dont le peuple a été martyrisé. Il fait aujourd’hui l’objet d’une politique d’extermination et de génocide de la part d’Israël, cet État criminel à l’impunité garantie par les gouvernements occidentaux.
Partages-tu ce constat ?
Si ce n’est pas le cas, je trouve cela accablant pour un militant de la CGT qui est le seul syndicat en France dont l’engagement internationaliste revendiqué fait partie de ses fondations et valeurs. Certes, pas n’importe quel internationalisme ! Pas celui de la rhétorique des Congrès que nous sert la direction de la CGT, mais un internationalisme conséquent de classe, donc anti-impérialiste et anti-capitaliste.
Pas dans les mots mais dans les actes.
J’ai été membre pendant 20 ans de la Commission Exécutive confédérale et pendant 10 ans le responsable du Département international de la CGT. Cela ne me donne pas plus d’autorité qu’à d’autres. Toutefois, depuis le recentrage de notre confédération, je constate dans les positions de la direction de la CGT, non seulement le renoncement à nos principes internationalistes, mais pire, le ralliement au narratif officiel qu’elle partage sans la moindre nuance avec la CES et la CSI (ex-CISL) dont les complicités et compromissions ne sont plus à démontrer.
Soyons lucide et "ne tournons pas autour du pot", la CGT a une autre "politique" internationale. Celle-ci d’ailleurs ne correspond pas au monde qui change, mais à celui d’hier.
La CGT internationalement est du mauvais côté de la barricade.
Depuis le 53e Congrès, cela ne s’est pas arrangé mais aggravé.
C’est le cas en particulier avec les positionnements dans l’air du temps et les déclarations condamnant l’action du 7 octobre et qui visent à stigmatiser le combat armé et politique de toute une nation à travers les organisations de la résistance palestinienne que le peuple s’est donné et ce sans exclusive. Pour ma part, je considère le 7 octobre comme un acte historique, que les Palestiniens payent au prix fort avec un courage extraordinaire. Ce fut aussi le cas d’autres combats contre la colonisation comme en Algérie, au Vietnam, en Chine, en Afrique.
Où est la différence ?
Dans les faits, être solidaire n’est plus la position du Département international de la CGT. Je le déplore.
Dans ma lettre ouverte à Sophie Binet qui a été rendue publique, j’ai développé un certain nombre d’arguments sur les causes historiques de cette guerre de libération qui ne sera solutionnée que par l’autodétermination du peuple palestinien. Je l’ai fait également dans l’Appel dont j’ai pris l’initiative, celui de 300 personnalités françaises et internationales pour soutenir ce "peuple palestinien debout, qui ne veut pas vivre à genoux".
Or et pour cause, la CGT fait le choix de ne jamais éclairer le "Comment on en est arrivé là". J’ai même lu dans la dernière livraison d’Ensembles-la Vie Ouvrière des commentaires ahurissants qui légitiment l’action d’Israël. Il en est ainsi non à cause des seules faiblesses et de l’ignorance crasse du Département international de la CGT, mais tout simplement parce que c’est un choix, et c’est donc celui d’une orientation. Elle est en totale contradiction avec l’histoire des engagements internationaux de la CGT, y compris celui de la CGT U avec Abdel Krim lors de la guerre du Rif en 1925.
Dans les années 70, j’ai vécu et milité dans cette région et aux côtés de la résistance palestinienne et libanaise. La CGT y a toujours disposé d’un grand prestige, je peux en témoigner. Aujourd’hui, celui-ci a été réduit à néant. Comment ?
En 1996, j’ai accompagné Louis Viannet à Beyrouth où nous avions rencontré toutes les organisations progressistes, y compris le Hezbollah, et à Gaza, où nous avons partagé une longue discussion avec Yasser Arafat. Je me souviens de ses paroles chaleureuses à l’égard de l’action de la CGT et sa capacité à entretenir des relations fraternelles de combat avec toutes les organisations syndicales et politiques de la résistance palestinienne.
Ce n’est plus le cas et la raison en est également simple. En fait et contrairement aux choix du Congrès confédéral, la direction de la CGT a décidé de faire le tri. C’est le cas par exemple avec les confédérations syndicales palestiniennes.
Ainsi, elle pratique un ostracisme à l’égard de l’une d’entre elles, d’ailleurs la plus ancienne, parce que celle-ci est affiliée à la FSM.
Partages-tu cette position ?
Par contre, la CGT refuse de rompre avec la Histadrout, ce pilier historique du sionisme israélien dont on connaît la corruption et le soutien inconditionnel à Netanyahou.
Es-tu d’accord ?
Par ailleurs la CGT n’a plus de relations en Syrie, en Irak, en Jordanie, et au Liban, elles sont devenues purement formelles avec la Fenasol, affiliée elle aussi à la FSM.
Selon toi est-ce une bonne chose ?
Ce ne sont que quelques exemples pour t’aider à réfléchir et à réviser le contenu de tes arguments qui ne sont franchement pas à la hauteur de ceux qui devraient être ceux d’un militant de la CGT qui par ailleurs se proclame solidaire.
Car en fait, tu es solidaire de quoi et comment ?
Soutiens-tu ou non le choix de la lutte armée, droit légitime que reconnaît la Charte des Nations-Unies ?
Ne faut-il pas répondre à cette question et avoir le courage de le dire clairement ?
Pourquoi la soutient-on en Ukraine et pas en Palestine ?
Vois-tu, pour moi, ce choix appartient au peuple palestinien et ce n’est certainement pas à l’adversaire de classe, c’est à dire l’impérialisme, de décider à sa place et en particulier en ce domaine.
Voilà pourquoi notre internationalisme ne doit pas être sans contenu. La clarté est toujours nécessaire. Elle est même indispensable.
C’est pourquoi, j’ai signé cet Appel parce qu’il y contribue.
Il te reste à le faire !
Fraternellement,
Jean Pierre Page »
[1] Le Hamas a remporté les élections législatives organisées à Gaza en 2006. L’ancien Président américain Jimmy Carter y était présent en tant qu’observateur, et a qualifié le processus électoral d’ « honnête » et « juste ». Source : https://www.cartercenter.org/news/documents/doc2287.html
[2] https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-19/ty-article-magazine/israels-dead-the-names-of-those-killed-in-hamas-massacres-and-the-israel-hamas-war/0000018b-325c-d450-a3af-7b5cf0210000
[3] Un article de L’Humanité du 21 novembre intitulé « Ils ont éliminé tout le monde, y compris les otages » : des civils israéliens ont-ils été tués par leur armée ? rapporte : « Le 20 octobre, un journaliste du quotidien israélien Haaretz s’est rendu au kibboutz Be’eri, l’un de ceux attaqués par le Hamas. Il y a rencontré Tuval Escapa. Celui-ci avait mis en place une ligne d’assistance téléphonique pour maintenir une liaison entre les résidents et l’armée, en cas d’attaque… Comme le rapporte le quotidien, « le désespoir s’est installé lorsque les commandants sur le terrain ont pris des décisions difficiles – y compris le bombardement de maisons sur leurs occupants afin d’éliminer les terroristes, ainsi que les otages ».
Ce que confirme d’ailleurs Yasmin Porat, qui a survécu alors qu’elle avait été capturée avec d’autres Israéliens dans une maison où elle avait trouvé refuge. Les civils israéliens ont été « sans aucun doute » tués par leurs propres forces de sécurité, a-t-elle affirmé. « Ils ont éliminé tout le monde, y compris les otages. Il y a eu des tirs croisés très, très violents » et même depuis les chars.
Cela s’est produit lorsque les forces israéliennes, alertées, se sont engagées dans de féroces batailles avec les attaquants palestiniens du kibboutz de Be’eri et ont tiré sans discrimination sur les combattants et leurs prisonniers israéliens.
Un journaliste de I24 News, qu’on ne peut pas taxer de tropisme anti-israélien, a fait état, lors d’une visite dans ce même kibboutz de Be’eri, quelques jours après, « de petites maisons pittoresques (qui) ont été bombardées ou détruites » et « des pelouses bien entretenues (qui) ont été arrachées par les traces d’un véhicule blindé, peut-être d’un char ».
« Extrêmement difficile de distinguer un terroriste d’un soldat ou d’un civil »
Haaretz a également publié des informations selon lesquelles l’armée israélienne avait été « contrainte de demander une frappe aérienne » contre le terminal d’Erez (le point de passage entre Israël et Gaza) « afin de repousser les terroristes » qui en avaient pris le contrôle. Cette base était remplie d’officiers et de soldats de l’administration civile israélienne à ce moment-là.
Le 15 octobre, le plus grand quotidien israélien, Yedioth Aharanoth, affirmait que les pilotes d’hélicoptères Apache qui étaient intervenus, « s’étaient rendu compte qu’il était extrêmement difficile de distinguer, dans les avant-postes et les colonies occupés, qui était un terroriste et qui était un soldat ou un civil… La cadence de tir contre les milliers de terroristes était énorme au début et, seulement à un certain moment, les pilotes ont commencé à ralentir les attaques et à sélectionner soigneusement les cibles ». Mais, pour Yedioth, la faute en incombe aux Palestiniens, qui auraient reçu l’ordre de se fondre dans la foule des jeunes participants à la rave party fuyant l’horreur. » Source : https://www.humanite.fr/monde/armee-israelienne/ils-ont-elimine-tout-le-monde-y-compris-les-otages-des-civils-israeliens-ont-ils-ete-tues-par-leur-armee
[4] La Résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies 2621 (XXV) du 12 décembre 1970 « Déclare que la persistance du colonialisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations représente un crime qui constitue une violation de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux et des principes du droit international » et « Réaffirme le droit inhérent des peuples coloniaux de lutter, par tous les moyens nécessaires dont ils peuvent disposer, contre les puissances coloniales qui répriment leur aspiration à la liberté et à l’indépendance. » Source : https://daccess-ods.un.org/tmp/6724173.42662811.html
[5] Demande d’avis consultatif adressée à la Cour internationale de Justice par l’Assemblée générale des Nations Unies sur les conséquences en droit de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le Territoire palestinien occupé : « A propos de la question de savoir si les attaques transfrontières perpétrées par des forces irrégulières peuvent être considérées comme des agressions armées justifiant la légitime défense, la Cour internationale de Justice a constaté, dans l’affaire du Nicaragua (C.I.J. Recueil 1986 (fond)) que les actes commis par des « bandes, groupes, forces irrégulières ou mercenaires armés » qui recourent à la force des armes peuvent équivaloir à une agression armée à condition que la gravité en soit telle qu’ils peuvent être assimilés à une véritable agression armée commise par des armées régulières, et que ces forces soient envoyées par un Etat, ou agissent pour son compte. Tel n’est pas le cas dans le conflit palestinien. » Source : https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/131/1596.pdf