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De la destruction de Gaza à la fin d’Israël ?

mercredi 4 décembre 2024 par Ofri Ilany

Derrière la propagande officielle sur le 7 octobre, cet article de Haaretz, journal de la gauche libérale israélienne récemment privé de financement public, pose en filigrane une question cruciale : l’acceptation internationale du génocide à Gaza ne risque-t-elle pas à terme de se retourner contre Israël, qui pourrait être détruit sans émouvoir un monde devenu indifférent aux massacres de masse ?(AM)

Les massacres de Gaza empoisonneront à jamais l’âme des Israéliens

La plupart des Israéliens considèrent les horreurs perpétrées à Gaza comme une conséquence inévitable de la guerre contre le Hamas. Mais à mesure que les images de destruction et de violence s’infiltrent dans les consciences, elles dévaluent la valeur de la vie, y compris celle des Israéliens [les seules qui comptent aux yeux de l’Etat d’occupation et de « l’Occident civilisé »].

Dans son livre Fallen Soldiers, l’historien juif américain George Mosse décrit la brutalisation subie par les États européens après la Première Guerre mondiale. Il évoque l’indifférence extrême à l’égard de la vie humaine qui s’installe face à la violence de masse et aux actes de cruauté. Un exemple marquant en est l’évolution de l’attitude envers les pogroms.
En 1903, 49 Juifs sont assassinés à Kichinev. Une indignation internationale immédiate s’ensuit : les gouvernements français, britannique et même allemand protestent vivement auprès de la Russie, et la presse internationale couvre largement le pogrom.

En 1919, des pogroms bien plus vastes se produisent : environ 50 000 Juifs sont massacrés en Ukraine, des milliers torturés ou violés [en particulier par les forces nationalistes ukrainiennes antibolchéviques de Symon Petliura, dont le « flambeau » sera repris par Stepan Bandera, qui collaborera activement aux massacres nazis durant la Seconde guerre mondiale]. Pourtant, cette fois, l’affaire ne suscite pas la même attention en dehors des communautés juives.
Pourquoi ?
Parce qu’une guerre totale s’est déroulée entre ces deux événements. Quand des millions de soldats meurent et que des nations entières sont ravagées, la vie humaine perd de son poids.

Aujourd’hui, nous sommes plongés dans une vague de brutalisation accélérée. Le sang est devenu une monnaie dévaluée, plus encore qu’à toute autre époque récente. Le massacre du 7 octobre [à ce sujet, voir un autre article d’Haaretz, La vérité sur le 7 octobre : Tsahal a déclenché la directive Hannibal] a brisé les dernières barrières de cette brutalisation, nous entraînant dans une spirale de violences [présenter le 7 octobre comme un élément déclencher, et non comme un aboutissement de 75 ans de massacres et de spoliations contre les Palestiniens, est une infamie]. Les consciences israélienne, palestinienne et mondiale sont submergées de sang et d’horreur, provoquant l’effondrement de la valeur de la vie.

Le processus de brutalisation, écrit Mosse, peut avoir engendré une vitalité nouvelle chez l’homme, mais il l’a aussi condamné à une paralysie face à la cruauté humaine et à la perte de vies.

La conquête de Gaza, les bombardements, la crise humanitaire, la faim : tout cela génère chaque jour une souffrance extrême, accompagnée d’images destructrices qui s’imprègnent à la fois dans le conscient et l’inconscient. Comme le massacre perpétré par le Hamas [le gouvernement Netanyahou refuse obstinément une enquête, qu’elle soit israélienne ou internationale, car le récit israélien serait officiellement réfuté], la violence israélienne est immédiatement documentée et diffusée à grande échelle.
Le monde est confronté à de nouvelles formes d’horreur : les foules piétinées en se ruant vers des camions de nourriture, les drones futuristes avertissant les habitants de Khan Younès que leurs maisons seront bombardées, les fosses communes, ou encore des bébés jumeaux de cinq mois tués.

La plupart des Israéliens considèrent ces atrocités comme un effet secondaire inévitable de la guerre contre le Hamas. Mais, au-delà de la question de la justice, les images de cette violence de masse empoisonneront la conscience collective pendant des générations, tout comme celles des violences du Hamas à Re’im et Sderot. Elles contribuent également à déprécier la valeur de la vie israélienne elle-même.

De nombreux Israéliens pensent que la destruction de Gaza dissuadera quiconque voudrait nous nuire à l’avenir. Pourtant, cette conception de la dissuasion n’a jamais été démontrée de manière irréfutable. Et quoi qu’il en soit, les destructions massives et les tueries entraînent un effet secondaire : elles génèrent une inflation de sang.
À l’image de l’usage irresponsable des antibiotiques, ces actes nuisent à l’humanité tout entière sur le long terme. Ce conflit, jusqu’ici contenu, a atteint de nouveaux sommets d’horreur : villes incendiées, viols [au sujet des sévices sexuels systémiques infligés aux Palestiniens, voir Institutionnalisation du viol des détenus Palestiniens : le vrai visage d’Israël ; au sujet des crimes imputés au Hamas, Norman Finkelstein : les accusations de crimes sexuels contre le Hamas sont infondées ], enlèvements de masse, famine et mort de dizaines de milliers de personnes. Pour les observateurs éloignés, la situation semble irréversible, et leur réponse est à la hauteur de ce désespoir.

Peu d’entre nous seraient surpris d’apprendre que des dizaines de personnes ont été tuées lors de combats au Congo – nous sommes devenus insensibles aux morts en Afrique. Bientôt, cette même apathie s’appliquera au conflit ici.

Les cœurs se ferment, l’indifférence s’installe, et, lors des prochaines atrocités, peu de gens s’en soucieront. La guerre, comme l’a écrit Mosse, est le père de la brutalisation.

Bêtes de proie

À première vue, en arpentant les rues de Tel Aviv, on ne perçoit pas une pulsion de mort, mais un désir de vivre. C’est vrai, dans une certaine mesure. Un ami allemand, de passage en Israël il y a quelques semaines, s’est dit surpris de voir une longue file d’attente devant le nouveau glacier d’Eyal Shani, alors que la guerre fait rage à seulement quelques dizaines de kilomètres. On peut y voir une méthode de répression psychologique ou, au contraire, une saine insistance sur l’importance de vivre.
Mais d’autres éléments entrent peut-être en jeu.

Malgré tout le respect que l’on peut avoir pour la crème glacée, l’aliment le plus populaire à Tel Aviv en ce moment est le smashburger. De nombreux restaurants sophistiqués de la ville ont fermé leurs portes, remplacés par des enseignes de hamburgers. La raison est simple : un hamburger permet de manger pour moins de 100 shekels (28 dollars), un repas bon marché rare dans les restaurants aujourd’hui.
Pourtant, on ne peut s’empêcher de s’interroger : comment cette ville, autrefois considérée comme un havre pour les végans, est-elle devenue accro à des amoncellements de viande dans un pain ?
On soupçonne que la brutalisation imprègne aussi nos habitudes culinaires [voir cet article de CNN, qui déplorait au contraire qu’un criminel de guerre israélien soit devenu végétarien après avoir écrasé morts ou vifs des centaines de Palestiniens : A Gaza, l’Occident déborde de compassion pour les bourreaux].

La vie civilisée est un processus de raffinement constant. Les citadins abandonnent progressivement les pratiques d’antan. Au Moyen Âge, il était courant de présenter des animaux morts entiers à table pour les découper sur place. Au fil des siècles, ces coutumes ont changé, et nombre d’entre nous ont même cessé de manger de la viande, pour des raisons morales, mais aussi parce que cette pratique semble barbare.

Face aux massacres, cependant, il devient difficile de ressentir de la compassion pour des veaux ou des poulets. Lorsque le sang envahit notre conscience, des griffes et des crocs métaphoriques nous poussent.
Le voile de la civilisation se déchire, et nous devenons des bêtes de proie.

Espérons que cette désintégration s’arrête avant que nous ne commencions à nous dévorer les uns les autres.

Haaretz, 21 mars 2024

Traduction et notes entre crochets par Alain Marshal


Voir en ligne : https://alainmarshal.org/2024/12/03...

   

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