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« L’israélisation » du droit international
samedi 30 novembre 2024 par Robert Charvin
Professeur de droit international, Robert Charvin analyse comment Israël se joue des lois avec le soutien des grandes puissances. Des notions montées de toute pièce permettent ainsi de perpétrer des crimes colonialistes tout en bafouant les règles établies pour tenter de préserver la paix. (I’A)
La plupart des petits États dans l’Histoire contemporaine, soucieux de tirer protection du droit positif, manifeste plus de déférence à l’égard de la légalité internationale que les Grandes Puissances qui en sont pourtant à l’origine. Celles-ci ont pour pratique courante soit de ne pas l’invoquer et n’en pas tenir compte, soit de le « revisiter » et de l’interpréter afin de s’en servir et non d’en respecter le contenu authentique.
L’État d’Israël, par exception, s’affiche, tout comme les Grands, comme un champion de la légalité, isolé au milieu d’États arabes sans conscience juridique. Le droit est une composante majeure de sa légitimité dans l’ordre international ainsi qu’aux yeux de ses citoyens.
Toutefois, l’État d’Israël « interprète » le droit international, surtout depuis les dernières décennies, dans un esprit très éloigné de celui des Nations Unies et de la plupart des membres de la société internationale. S’il est en mesure de pratiquer un tel écart, c’est parce qu’il bénéficie, quoi qu’il fasse, de l’appui sans réserve (du moins jusqu’en 2024) de l’aile protectrice des États-Unis [1] et de la plupart des États de l’Union européenne [2].
Un droit à la carte
La crise de 2023-24 confirme « l’israélisation » du droit international et la forte tolérance du monde occidental pour des pratiques qui vont à l’encontre avec la plus grande brutalité des droits de l’homme, du droit humanitaire et du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. C’est en fait une rupture spectaculaire, malgré quelques demandes de modération peu pressantes auprès du gouvernement Netanyahou, avec la posture internationale d’États se réclamant sans réserve de la démocratie alors qu’ils accusent d’autocratie le reste du monde, particulièrement la Russie, la Chine et le Sud global.
La condamnation du terrorisme du Hamas, conjointe à celle d’Israël, s’est exprimée immédiatement et sans examen, dès le 7 octobre 2023, de même que le « droit » de bombarder Gaza fondé sur la notion de légitime défense. La position occidentale n’a fait marche arrière que lentement et partiellement avec la prolongation de ces bombardements et le nombre des victimes. La question du respect du droit international a mis beaucoup de temps à être posée sous la pression des États du Sud sans qu’une réponse occidentale claire soit exprimée malgré le caractère flagrant des violations du droit.
Cette attitude commune à certains États ayant encore la capacité d’exercer une hégémonie tout au moins relative ne concerne pas que les Palestiniens. La réaction israélienne [3] à l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 menace par son ampleur non seulement la paix dans tout le Proche-Orient, mais plus encore le principe même de toute régulation juridique dans la société internationale et l’existence de l’Organisation des Nations Unies qui risque de connaître à moyen terme le sort de la SDN !
Pour l’opinion internationale, la Charte des Nations Unies et le droit international général apparaissent comme privés de toute efficacité. Le coup porté à la crédibilité du droit et au discours humanitaire des États est d’importance : la thèse du chaos et du désordre international semble en effet se vérifier, avec toutes les menaces qu’elle fait peser, sans pour autant être la source d’une forte préoccupation !
La relecture voire la désuétude du droit sont fondées pour Israël sur une idée simple : « Tel-Aviv ne saurait s’imposer une contrainte juridique présentant selon lui un risque suicidaire ». Chaque norme est ainsi revue et corrigée afin que coïncident sécurité nationale, légitimité autoproclamée et légalité revisitée pour le compte d’Israël. Si tous les États de la « communauté » internationale adhéraient à cette posture, le droit n’existerait plus.
La légitime défense préventive
Si le 7 octobre 2023 est une étape déterminante dans ce processus, c’est bien avant cette date qu’Israël a inventé des notions qui lui sont propres, mais contaminent néanmoins l’ensemble des relations internationales. Il est particulièrement excessif de considérer que l’Occident est sur la défensive vis-à-vis de la Russie, de la Chine et du Sud Global qui tentent d’emprunter une nouvelle voie en se refusant à toute subordination. Le « modèle » États-Unis, Israël, Europe de l’Ouest et de l’Est avait mis en œuvre une pratique de fractures violentes avec les États « inamicaux » dès la disparition de l’URSS en confortant par les moyens radicalement extrajuridiques et le plus souvent illégaux son hégémonie.
La dévastation de Gaza de 2023-24, préoccupante pour l’Occident en raison de son ampleur et des conséquences qu’elle peut entraîner, semble néanmoins être un pas supplémentaire vers un chaos a-juridique des relations internationales.
Israël a été à l’avant-garde de cette évolution et le demeure en théorisant sur sa pratique qu’il entend justifier.
Israël a inventé un corps doctrinal en rupture avec les conceptions les plus classiques du droit international.
Se refusant à être reconnu comme « agresseur », malgré de nombreuses opérations militaires contre des États voisins et des camps de réfugiés palestiniens à l’étranger [4], Israël a inventé la notion de « légitime défense préventive », qui sera reprise par les États-Unis. L’ « agression » (qui fait controverse entre les Grandes Puissances) devient action défensive antiterroriste destinée à prévenir une éventuelle agression palestinienne ou plus généralement arabe.
Les États-Unis ont, par exemple, adopté la même définition de la légitime défense lorsqu’ils ont usé de la force armée contre l’Irak de Saddam Hussein [5] !
Une occupation illégale à tous points de vue
Les « intifadas » ont par ailleurs conduit à la révision de la notion « d’occupation » telle que l’entend le droit international. En Cisjordanie et à Gaza, Israël l’a théorisé de manière particulière [6].
Le principe général est que « l’occupant » est responsable de la situation des « occupés » (Voir la IV° Convention de Genève du 12 août 1949 et les avis de la Cour Internationale de Justice qui s’imposent aux occupants israéliens).
C’est ainsi que les dispositions de la Charte des Nations Unies relatives aux droits de l’Homme sont applicables aux Territoires Occupés, selon l’interprétation du Secrétaire Général de l’ONU (Rapport du Secrétaire Général, Document de l’ONU A/7720/1969). Les Droits de l’homme se rattachent aux droits fondamentaux de tous les êtres humains, en tous lieux et de tous temps, y compris en cas d’occupation militaire [7].
Cette position est partagée par le Comité international de la Croix-Rouge qui estime que les deux corps de lois (droits de l’homme et droits de l’occupation) sont applicables conjointement (document du CICR, CDH/17/1/1983). Les États européens sont eux aussi du même avis, il est vrai sur un autre terrain que la Palestine (conflit Turquie-Chypre de 1974, l’occupant turc étant jugé responsable par la Commission européenne des Droits de l’Homme de son occupation d’une partie de Chypre).
L’Assemblée générale des Nations unies, enfin, à la quasi-unanimité (Résolution 2675, 1970) a adopté la même position : elle a cité la Déclaration universelle des Droits de l’homme en condamnant Israël par 109 voix contre 0 et 8 abstentions.
L’invocation par l’occupant de la légitime défense dans les Territoires Occupés est « sans pertinence » (§3 139 de l’avis de la CIJ de 2004). Israël est fondé à répliquer à des actes de violence, mais tout en demeurant dans le droit international (§141 de l’Avis). Les forces d’occupation ne sont pas fondées à user d’un « recours excessif à la force contre les civils palestiniens » (Résolution 64/94/2009 de l’A.G des Nations Unies). Ainsi, l’ONU a condamné Israël lorsqu’il y a des morts et des blessés, destructions d’habitations, d’édifices publics, de locaux des Nations Unies et de mosquées.
Malgré les droits et libertés confirmés au profit des occupés, les tribunaux israéliens depuis 1967 (y compris la Cour Suprême) dans la bande de Gaza et en Cisjordanie et dans le Golan n’ont pas tenu compte des droits de l’homme dans leurs jugements, reconnaissant au contraire la capacité des autorités israéliennes de limiter ou d’interdire toutes les activités politiques des citoyens palestiniens. Quant aux détenus dans les prisons et les camps israéliens, ils ne sont pas traités conformément au droit humanitaire ; ils sont qualifiés de « combattants illégaux », détenus sans jugement [8], pour avoir participé « directement ou indirectement à des actes hostiles à l’État d’Israël ».
Cet arbitraire a précédé les événements du 7 octobre, mais il s’est aggravé avec les opérations anti-Hamas [9].
La rétention des corps des détenus décédés permet d’imposer aux familles la fourniture de renseignements pour que les funérailles puissent se dérouler [10]
Les prisonniers étaient 5200 avant le 7 octobre, au début des bombardements sur Gaza, ils étaient 10.000. Ils seraient début 2024 au nombre de 7.000 (dont des enfants de 12 ans). Ces détenus ont une grande importance politique, car ils rapprochent toutes les fractions : ce rôle fédérateur est violemment combattu par l’administration israélienne et pèse de tout son poids sur la procédure des échanges prisonniers-otages.]].
Ces multiples atteintes aux droits de l’homme sont fondées par Israël (avec l’approbation de la plupart de ses juristes) sur « l’urgence publique ». Si la présence du Hamas dans Gaza peut être éventuellement prise en considération, il n’en est pas de même en Cisjordanie où néanmoins Israël a la même politique. Or, l’extension continue des colonies qui s’y développe retire à Israël toute capacité de se prévaloir d’une exception d’urgence !
L’illégalité de l’action des colons et de l’armée qui les soutient prive Israël de toute prétention : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude » note un adage juridique traditionnel.
L’argument peut aussi être avancé pour les sanctions économiques prises contre la population de Gaza depuis 2007 (1er exemple dans l’histoire des relations internationales de telles mesures contre un peuple occupé et soumis à un blocus) : la qualification de « terroristes » pour tous les membres du Hamas est contredite dans les faits par les transferts via Israël des finances fournies par le Qatar !
Les exigences israéliennes voulant imposer à tous les États leur propre qualification [11] de terroriste n’ont pas de fondement juridique : le droit international ne connaît pas de définition, seul le droit interne de chaque État en connaît une souvent différente de celle de son voisin.
Aucun consensus n’est intervenu à ce propos entre le Nord et le Sud. Si Israël mène une guerre contre le terrorisme en l’invoquant en toutes circonstances, ce n’est qu’en application d’une loi « domestique ». L’assimilation « éphémère » par la France de Daech et du Hamas a été écartée par le Conseil de Sécurité : « L’éradication » du Hamas sur le territoire de Gaza, comme l’ONU l’avait admis pour l’Organisation de l’État islamique en 2015 (Résolution 22249), n’est pas conforme à la légalité internationale : les deux questions ne sont pas identiques.
On peut s’interroger sur la question réelle du régime d’occupation qui se prolonge indéfiniment depuis 1967 [12]. Ne s’agit-il pas non d’une occupation militaire, mais comme en témoigne l’extension systématique de la colonisation d’une véritable annexion ? Différents indices excluent le provisoire : il en est ainsi par exemple du Mur édifié par Israël d’un caractère définitif visant à la seule sécurité des intérêts israéliens. N’en est-il pas de même pour l’ensemble des discriminations subies par les Palestiniens depuis des décennies, allant en s’aggravant, qui institutionnalisent un régime d’apartheid permanent peu différent de ce qu’a connu l’Afrique du Sud par le passé ? Amnesty International (Rapport du 1er février 2022) croit devoir noter : « La population palestinienne est traitée comme un groupe racial inférieur et elle est systématiquement privée de ses droits ».
En 2023, la destruction systématique de Gaza par des moyens massifs et l’usage d’armes illégales comme au Liban en 2006 [13] peut être même considérée comme un indice de la volonté d’élimination définitive des Gazaouis, ce qui présente un risque de génocide. Est écartée par Israël toute prise en compte de l’existence d’un Peuple palestinien ayant une capacité juridique. Il lui est retiré toute possibilité de « témoigner de lui-même », selon la formule du professeur Chaumont [14], et par là même d’exercer ses droits.
Le colonialisme à la barre
L’inertie de nombre d’États vis-à-vis de violations aussi nombreuses et aussi flagrantes du droit international n’engage-t-elle pas aussi leur responsabilité et ne vide-t-elle pas de toute signification leurs déclarations sans la moindre portée pratique ? Les juristes pour leur part ne sont-ils aptes qu’à ratifier la politique de leur État ?
Un élément de réponse peut être apporté par les débats devant la Cour Internationale de Justice, saisie par l’Afrique du Sud/Israël, le 29décembre 2023.
La défense – très a-juridique – que présentent les avocats d’Israël contre l’action évoquant le « risque de génocide » est particulièrement représentative de leur conception approximative du droit international. Sont en débat les dispositions de la Convention sur le génocide du 9 décembre 1948. Les juristes choisis par les Sud-Africains accusent Israël d’avoir perpétré au cours de sa guerre à Gaza des actes « à caractère génocidaire, car ils ont été commis avec l’intention spécifique requise de détruire les Palestiniens en tant que partie du groupe national, racial, et ethnique palestinien au sens large » [15].
Dans l’attente d’un jugement, à l’issue d’une longue procédure et de plusieurs années d’enquête, l’Afrique du Sud demande à la CIJ de prendre des mesures conservatoires visant à arrêter la campagne militaire israélienne à Gaza, ayant relevé une série d’indices comme notamment les déclarations de certains ministres (comme Yoav Gallant) et du Chef de l’État israélien. Loin de la situation précédant le 7 octobre 2023 et des négociations sur les Accords Addallah, le droit international grâce à la saisine de la CIJ est de retour sur le devant de la scène.
Une large partie des arguments invoqués par Israël n’a pas de caractère juridique : elle dénonce l’aberration que représente un génocide porté contre le peuple hébreu, lui-même victime d’un génocide non assimilable à tout autre. Le Président Herzog de l’État juif récuse lui-même toute accusation jugée « absurde, « odieuse » et « dépourvue de sens ». C’est en réalité Israël qui « combat le génocide » amorcé par le Hamas le 7 octobre 2023, date du « pire crime contre le peuple juif depuis l’Holocauste ».
C’est en effet seulement le Hamas à qui l’on peut reprocher des actes qualifiés de génocidaires. La plainte de l’Afrique du Sud n’a pas de fondement juridique, elle ne fait « qu’offrir une couverture politique à une « organisation terroriste » désignée comme telle par de nombreux États (dont les États-Unis et l’Union européenne) et « impliquée dans de nombreux actes de violence », tels les attentats suicides, les tirs de roquette, etc. D’ailleurs, le Hamas « reçoit des soutiens de différents individus, d’organisations comme le Hezbollah et des pays (l’Iran et l’Algérie) connus comme étant liés au terrorisme palestinien (fourniture d’armes, d’appuis politiques et d’argent).
En fait, Israël ne plaide pas essentiellement sa cause en droit : le seul argument avancé est une « guerre de défense » contre le Hamas pas contre le peuple palestinien. Seul le Hamas est visé qui utilise les écoles, les hôpitaux, les mosquées à des fins militaires, d’où les victimes civiles à Gaza. L’éradication programmée de l’organisation terroriste résulte seulement des actes du Hamas(torture des enfants et de leurs parents, viols et mutilations, etc.). Israël n’a aucune « intention » génocidaire, en avançant pour preuve l’information préventive diffusée par Tsahal auprès des quartiers devant être bombardés, par tracts et appels téléphoniques individuels, ouvertures de couloirs humanitaires, assistance sanitaire (par ambulances et hôpitaux de campagne à destination des Gazaouis). Pour Israël, c’est au contraire le Hamas qui est responsable des victimes de Gaza (tirs de roquettes manqués, vols de denrées et médicaments destinés aux civils, usage d’infrastructures civiles).
En tout état de cause, il n’y a plus d’urgence à un cessez-le-feu, car l’opération militaire est presque achevée (les troupes terrestres sont en diminution et les combats sont moins intenses).
Les quelques arguments juridiques ne répondent que très partiellement à la question de savoir si les droits fondamentaux des Gazaouis sont menacés de génocide en raison des bombardements massifs sur une zone surpeuplée, si le conflit n’a commencé qu’en représailles du 7 octobre, si les déclarations bellicistes et criminelles de certains ministres et généraux sont des indices révélateurs d’une volonté politique génocidaire des autorités israéliennes par-delà de tous les dénis, auxquels doivent s’ajouter des vidéos applaudies par des militaires sur le terrain, si l’esprit et la lettre du droit humanitaire ne sont pas systématiquement violés, la légitime défense n’en supprimant pas l’application, notamment les déplacements massifs (3 fois plus qu’en 1948, lors de la première hakba) et l’asphyxie alimentaire et sanitaire (par terre, air et mer).
Aucune réponse n’est avancée contre les déclarations des ONG (notamment Amnesty International), de l’UNRWA et des représentants des Nations Unies, présents sur le terrain, qui démentent les arguments d’Israël, celui-ci récusant les faits, y compris les plus flagrants, par exemple, le nombre de victimes (particulièrement les « disparus » enfouis sous les décombres ratissés par les bulldozers de l’armée israélienne. À la mi-février 2024, c’est le Sud de Gaza, la zone de Rafah, où sont concentrés désormais 1.300.000 Gazaouis, qui est visé sans que l’Égypte ouvre sa frontière.
L’UNRWA annonce que l’intervention militaire à Rafah doit « aggraver la tragédie sans fin » de Gaza ; les États-Unis avertissent Tel Avive qu’il y a un « risque de désastre », qu’il faut accorder la « priorité aux civils » et que « la riposte israélienne est excessive » ! Mais le Premier ministre Netanyahou estime nécessaire d’intervenir à Rafah pour « atteindre la destruction du Hamas » et demande pour ce faire « l’évacuation des civils », sans savoir si elle est possible !
Les Ordonnances de la Cour exigent un « cessez-le-feu » et des mesures conservatoires en attendant de rendre un arrêt définitif qui demande quelques années. La jurisprudence semble favorable [16] aux positions de l’Afrique du Sud, malgré les « réticences » des États occidentaux et de leurs alliés, mais d’ores et déjà les ordonnances favorables au peuple palestinien sont contraignantes (ce qu’Amnesty International rappelle le 26.01.2024), non seulement pour Israël, mais pour tous les États qui admettent la compétence de la Cour Internationale de Justice, comme c’est le cas d’Israël et de l’Afrique du Sud.
La position de la CIJ est peut-être l’ouverture d’une nouvelle ère [17]. La justice internationale adresse un message qui met en cause bien au-delà de la politique d’Israël, l’Occident dans son ensemble. C’est son histoire coloniale qui est mise en procès.
Le jugement de fond rappellera, peut-être, le génocide allemand des Hereros en Namibie ou celui des Tutsis au Rwanda, fruit de la colonisation belge et des ambiguïtés de la politique française. C’est « un racisme internationalisé » de 500 ans de colonialisme que risque de condamner la CIJ au profit du Sud Global, si Israël ne parvient pas à faire la preuve qu’il n’y a pas d’autre intention que de lutter contre le terrorisme et non d’empêcher un peuple de se constituer en État ! La CIJ réplique, dans ses ordonnances, aux thèses israéliennes en parlant des « Palestiniens » et non des organisations palestiniennes, ce qui constitue un camouflet à l’argumentaire de l’équipe juridique de Tel-Aviv dont les demandes ont été rejetées [18].
D’ores et déjà et en tout état de cause, la Cour Permanente Internationale, en vertu de son statut de 1998, ratifié par Israël et de nombreux États, en inculpant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité les deux principaux dirigeants du gouvernement israélien, dont le Premier ministre Natanyahou, efface les postures victimaires sans fondement de l’État israélien. Tous les États ayant ratifié le Statut de Rome de 1998 régissant la CPI sont désormais dans l’obligation de mettre en œuvre cette décision sans considération du fait que les inculpés sont d’éminents alliés des États-Unis et de l’Occident.
Ces États, à défaut d’être complices, ne peuvent arguer en défense des « immunités » dont bénéficierait Natanyahou. Cette procédure ouverte contre les dirigeants israéliens est une rupture dans la pratique de la CPI depuis sa fondation : jusque-là, seules ont fait l’objet de poursuites des personnalités appartenant au Sud ou aux États en conflit avec l’Occident.
Il est vrai, toutefois, que les États-Unis et leurs alliés tendent aujourd’hui à récuser toute régulation dans l’ordre international et particulièrement celles que tentent d’imposer les instances onusiennes pour faire respecter le droit international et le droit humanitaire.
Voir en ligne : https://investigaction.net/lisraeli...
[1] Les États-Unis, quelle que soit la présidence (Bush, Obama, Trump ou Biden), adoptent une position analogue à celle d’Israël, y compris sur la question hautement stratégique de l’arme nucléaire. Avec l’appui de Washington, l’AIEA a contrôlé à de nombreuses reprises le respect par l’Iran de ses engagements en matière nucléaire, conformément à la volonté de Tel-Aviv d’empêcher Téhéran d’acquérir les armes qu’Israël possède déjà (grâce notamment à la société française Alstom). Israël considère que sa sécurité est fondée sur le monopole au Proche-Orient de la possession de l’arme nucléaire. Ce n’est en rien le respect du droit sur la non-prolifération qui est en jeu, mais la recherche commune pour Israël de conserver à son seul profit l’arme absolue et pour les États-Unis d’avoir à ses côtés un allié chargé de la « police du pétrole » !
[2] Malgré l’intensité des bombardements sur les populations civiles de Gaza, et qui étaient déjà systématiques depuis un mois et demi, l’Assemblée générale de l’ONU lors du vote de la Résolution du 23 décembre réclamant un simple cessez-le-feu, témoigne de cette complaisance. Outre les États-Unis, dix États se sont prononcés contre (dont l’Autriche et la République tchèque, avec la Micronésie, le Nauru et la Papouasie-Nouvelle-Guinée), tandis que l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Hongrie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie, la Lituanie, l’Ukraine, la Géorgie, dont les valeurs proclamées se veulent très humanistes se sont abstenues.
[3] Un argument d’Israël dans le passé favorable à sa contribution à la démocratie était que la légalité en vigueur en Cisjordanie et à Gaza sous autorité israélienne, était plus protectrice des droits de l’homme qu’elle ne l’était avant 1967, sous autorité jordanienne. Les modifications apportées par le législateur israélien à la loi jordanienne et aux règlements du mandat britannique étaient d’inspiration libérale. Le système juridique répressif israélien était donc très différent de celui des dictatures ouvertes de la plupart des États du Sud. Dans la réalité, le résultat politique n’était guère différent, via, par exemple, les « ordonnances militaires » (environ 1200) qui n’étaient pas toutes publiées et dont les avocats eux-mêmes n’avaient pas toujours communication !
[4] Dans un document officiel, « Persécution des Juifs dans les pays arabes », Ministère des Affaires Étrangères, Division de l’information, Jérusalem, 1969, il est indiqué que « l’idée de ces camps a été insufflée aux dirigeants arabes par les criminels de guerre nazis réfugiés en Égypte ».
[5] La Russie a fait de même lorsqu’elle s’est lancée dans son « opération spéciale » contre l’Ukraine, considérant que les Accords de Kiev n’étaient pas respectés par les Occidentaux.
[6] Cf. J. Quigley. Université de l’Ohio. « La relation entre la législation des droits de l’homme et de l’occupation belligérante : une population a-t-elle le droit à la liberté de réunion et d’expression », in Palestine et Droit (AIJD, Bruxelles, n° 4. 1992,p. 3 et s.
[7] Cf. A. Robertson. Les droits de l’homme dans le monde. 1972.
[8] Plus de 2000 prisonniers sont détenus sans jugement et sans que leur dossier soit porté à leur connaissance ou à celle de leur avocat. Leur internement administratif est renouvelé tous les 6 mois, il ne connaît pas de durée limite.
[9] L’administration des prisons a supprimé les visites de la Croix Rouge, a réduit drastiquement l’alimentation et l’ensemble des conditions de détention (y compris l’accès aux soins médicaux) de toutes les catégories de détenus palestiniens (par exemple, la lumière fonctionne toute la nuit, mais est coupée le jour). Cf les articles de P. Barbancey, grand reporter, dans l’Humanité.
[10] Latte-Abdallah. Directrice de recherche au CNRS. Des morts en guerre. Détention des corps et figures du martyr en Palestine. Karthala. 2022.Voir aussi du même auteur, La toile carcérale. Une histoire de l’enfermement en Palestine. Bayard. 2021.
[11] La condamnation presque unanime de la France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon se refusant à qualifier le Hamas de force terroriste peut relever seulement du droit français et ne peut être que dissociée de la question du respect du droit international.
[12] Cf. R. Maison. « Israël et ses alliés au mépris du droit des peuples », in Orient 21. décembre 2023.
[13] Il s’agit des bombes à fragmentation, des obus au phosphore blanc, etc. qui doivent faire l’objet d’une enquête internationale pour que les faits soient prouvés et pour qu’une fois encore l’impunité ne soit pas la seule réalité conclusive.
[14] En 2015 déjà, 58% des Israéliens soutenaient l’idée d’expulser sa population arabe hors d’Israël et des Territoires Occupés (The Times d’Israël du 25 janvier 2015).
[15] Le dossier sud-africain reprend en particulier les chiffres des victimes accrédité par les Nations Unies et les ONG présentes à Gaza mettant en cause le gouvernement israélien (et non le peuple juif) à la mi-janvier 2024 soit 23.210 Palestiniens tués (dont 70% de femmes et d’enfants), plus 7.000 disparus sous les décombres et 85% de Gazaouis déplacés. Il faut y ajouter 6.000 bombes larguées chaque semaine et 350.000 habitations détruites. Au -delà de ces chiffres, la guerre qui continue conduit à présumer qu’il peut y avoir au total 140.000 victimes, selon certains experts militaires français.
[16] C’est le cas du contentieux Ukraine/Russie en 2022 qui conduit la CIJ à déclarer que la Russie doit cesser rapidement ses opérations militaires ; et du conflit Birmanie/contre les Rohingas (2019) dont les deux parties doivent prendre des mesures pour empêcher la violation de la Convention relative au génocide.
[17] La libre Belgique du 7 février 2024 considère que les mesures conservatoires de la CIJ du 20/01/2024 sont « un véritable séisme juridique et politique ». « Elles constituent une rupture avec septante-cinq ans d’impunité dont avait joui le seul membre des Nations Unies enfanté par l’organisation internationale et qui s’était senti autorisé, protégé par ses soutiens, à s’installer dans une situation d’exceptionnalité lui permettant de se situer hors la loi… et d’estimer qu’il n’était crédité que de droits » !
[18] Une seconde requête de l’Afrique du Sud demandant d’ordonner de nouvelles mesures après l’annonce par Israël d’une prochaine offensive contre Rafah an toutefois été refusée par la Cour le16.02/2024.