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Tragédie en Syrie et nouvelle omni-guerre
samedi 7 décembre 2024 par Pepe Escobar
Seul un Axe de Résistance cohérent aura une chance de ne pas être éliminé par le même grand ennemi, encore & toujours. L’hydre hégémonique infernale ne pourra être vaincue par le “pouvoir des fleurs”.
Jusqu’à récemment, une hypothèse de travail géopolitique sérieuse indiquait que l’Asie occidentale et l’Ukraine constituent deux vecteurs du modus operandi standard de l’Hégémon, qui consiste à provoquer et à déclencher des Guerres éternelles.
Aujourd’hui, les deux guerres sont réunies dans une Omni-War.
Une coalition de néo-conservateurs straussiens aux États-Unis, de sionistes révisionnistes purs et durs à Tel-Aviv et de néo-nazis ukrainiens aux nuances de gris parient désormais sur une confrontation finale - avec plusieurs connotations allant de l’expansion du lebensraum à un déclenchement de l’Apocalypse.
Ce qui leur barre la route, ce sont essentiellement deux des principaux BRICS : la Russie et l’Iran.
La Chine, autoprotégée par son rêve collectif de “communauté d’un avenir partagé pour l’humanité”, observe la scène avec circonspection, car elle sait qu’au bout du compte, la véritable guerre “existentielle” menée par l’hégémon sera dirigée contre elle.
En attendant, la Russie et l’Iran doivent se mobiliser pour la Totalen Krieg [guerre totale]. Car c’est ce que l’ennemi est en train de déclencher.
Saper les BRICS et l’INSTC
La déstabilisation totale de la Syrie, avec une forte contribution de la CIA-MI6, qui se déroule maintenant en temps réel, est un stratagème soigneusement élaboré pour saper les BRICS et au-delà.
Elle se déroule parallèlement au retrait par Pashinyan de l’Arménie de l’OTSC [Organisation du Traité de Sécurité Collective] sur la base d’une promesse américaine de soutenir Erevan dans un éventuel nouvel affrontement avec Bakou, à l’encouragement de l’Inde à accélérer la course aux armements avec le Pakistan, et à l’intimidation tous azimuts de l’Iran.
Il s’agit donc également d’une guerre à des fins de déstabilisation du Couloir de transport international Nord-Sud (INSTC), dont les trois principaux protagonistes sont la Russie, l’Iran et l’Inde, membres des BRICS.
En l’état actuel des choses, l’INSTC ne présente aucun risque géopolitique. En tant que couloir BRICS de premier plan en devenir, il porte en lui le potentiel qui permettra une efficacité accrue comparée à plusieurs des couloirs trans-eartlands de la Chine dans le cadre de l’initiative Belt and Road (BRI).
L’INSTC serait une bouée de sauvetage indispensable pour une grande partie de l’économie mondiale en cas de confrontation directe entre le combo États-Unis/Israël et l’Iran - la fermeture éventuelle du détroit d’Ormuz entraînant l’effondrement de multiples milliards de dollars de produits financiers dérivés, entraînant l’implosion économique de l’Occident collectif.
La Turquie d’Erdogan, comme toujours, joue un double jeu. D’un point de vue rhétorique, Ankara défend une Palestine souveraine et exempte de génocide. En pratique, la Turquie soutient et finance une équipe hétéroclite de djihadistes du Grand Idlibistan - entraînés par des néo-nazis ukrainiens à la guerre des drones et dotés d’armes financées par le Qatar - qui viennent de marcher sur Alep, Hama, et peut-être au-delà, et de les conquérir.
Si cette armée de mercenaires regroupait de vrais adeptes de l’islam, ils se battraient en défense de la Palestine.
Par ailleurs, la situation actuelle dans les coulisses du pouvoir à Téhéran est extrêmement floue. Certaines factions sont favorables à un rapprochement avec l’Occident, qui pourrait avoir des répercussions sur la capacité de l’Axe de la Résistance à lutter contre Tel-Aviv.
La Syrie n’a jamais faibli sur la question du Liban. L’histoire nous dit pourquoi : du point de vue de Damas, le Liban reste historiquement un gouvernorat, et Damas se sent donc responsable de la sécurité de Beyrouth.
C’est l’une des principales raisons qui ont poussé Tel Aviv à lancer l’actuelle offensive salafiste et jihadiste contre la Syrie, après avoir détruit pratiquement tous les couloirs de communication entre la Syrie et le Liban. Ce que Tel-Aviv n’a pas pu accomplir sur le terrain - une victoire sur le Hezbollah dans le sud du Liban - a été compensé par l’isolement du Hezbollah de l’Axe de la Résistance.
Dans le doute, relire Xénophon
Les guerres en Asie occidentale sont un assemblage complexe de vecteurs nationaux, sectaires, tribaux et religieux. En un sens, ce sont des guerres sans fin, contrôlables jusqu’à un certain point, avant de disparaître ensuite.
La stratégie russe en Syrie semble avoir été très précise. La normalisation d’une nation complètement fragmentée étant irréalisable, Moscou a opté pour libérer la Syrie vraiment essentielle - la capitale, les villes les plus importantes et la côte orientale de la Méditerranée - des foules salafistes-djihadistes.
Mais le gel de la guerre en 2020, avec l’implication directe de la Russie, de l’Iran et (à contrecœur) de la Turquie, n’a pas résolu le problème des “rebelles modérés”. Maintenant, ils sont de retour - en force, soutenus par une vaste foule de “djihadistes à louer”, avec le soutien du renseignement de l’OTAN.
Il est des réalités qui ne changent jamais.
- 2012. Jake Sullivan, alors collaborateur d’Hillary Clinton :
- “AQ [al-Qaïda*] est de notre côté en Syrie”.
- 2021. James Jeffrey, envoyé spécial en Syrie sous Trump (2018-2020) :
- “HTS [Hayat Tahrir al-Sham*] est un atout pour la stratégie américaine à Idlib”.
Le moment ne pourrait être mieux choisi pour ressortir l’“atout” HTS. HTS comble un vide énorme. La Russie est entièrement concentrée sur l’Ukraine. Le Hezbollah a largement souffert des bombardements et des meurtres en série de Tel-Aviv. Téhéran est entièrement concentré sur la façon de traiter avec Trump 2.0.
Le passé ne cesse de nous instruire. La Syrie est désormais une Anabasis ouest-asiatique. Xénophon - soldat et écrivain - nous raconte comment, au IVe siècle avant J.-C., une “expédition” (“anabasis”, en grec ancien) de 10 000 mercenaires grecs a été engagée par Cyrus le Jeune contre son frère Artaxerxès II, roi de Perse, de l’Arménie à la mer Noire. L’expédition échoua lamentablement - et le pénible voyage de retour fut interminable.
2 400 ans plus tard, nous observons des gouvernements, armées et mercenaires toujours en proie aux guerres interminables de l’Asie de l’Ouest - et s’en extraire aujourd’hui se révèle un défi éminemment insoluble.
La Syrie est maintenant épuisée, accablée, avec une SAA devenue négligente avec le long gel de la guerre depuis 2020. Tout cela couplé au blocus meurtrier déclenché par la Caesar Act américaine [loi américaine prévoyant des sanctions pour les entreprises et les particuliers qui commercent avec le régime de Bachar Al Assad, en vigueur depuis le 17 juin 2020], et à l’impossibilité de démarrer la reconstruction de la nation, sans les 8 millions de citoyens qui ont fui cette guerre sans fin.
Au cours de ces quatre dernières années, les problèmes se sont accumulés. Il y a eu des violations sans fin du processus d’Astana, et Israël a bombardé la Syrie presque quotidiennement en toute impunité.
La Chine n’a pas bougé d’un iota. Pékin n’a tout simplement pas investi dans la reconstruction de la Syrie.
La perspective donne à réfléchir. Même la Russie - icône de la Résistance de facto, même si elle ne fait pas officiellement partie de l’Axe de la Résistance de l’Asie occidentale - a connu près de trois années de dur combat contre l’Ukraine.
Seul un Axe de Résistance cohérent et consolidé - après s’être débarrassé d’innombrables 5èmecolumnistes travaillant de l’intérieur - aurait une chance de ne pas être éliminé petit à petit par le même grand ennemi, encore et toujours.
On a parfois l’impression que les BRICS - en particulier la Chine - n’ont rien appris de Bandung en 1955 et de la manière dont le Mouvement de non-alignement (MNA) a été neutralisé.
L’hydre hégémonique infernale ne peut être vaincue par le “pouvoir des fleurs”.
* Les organisations terroristes sont interdites en Russie et dans de nombreux autres pays.
Photo : AP Photo / © Hassan Ammar
Voir en ligne : https://substack.com/home/post/p-15...